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Bien moins loufoque de ce que l'on connaît du cinéaste, en adaptant I'm Thinking of Ending Things de Ian Reid, Charlie Kaufman se retrouve pourtant en terrain connu. Anomalisa pointait déjà le syndrome dépressif d'un homme esseulé et on retrouve les thèmes chers du cinéaste. De Dans la peau de John Malkovich ce sera une vie par procuration, et de Eternal sunshine of the spotless mind, la prise de conscience par les souvenirs revisités.
Le cinéaste use allègrement de chemins de traverse - au propre comme au figuré - entre thriller psychologique, visions horrifiques, en passant par des envolées poétiques qui dotent l'ensemble d'un soupçon de fantastique, mais contribuent fortement à ne pas trop savoir ce qu'il en est de tout ce trajet, à la fois physique et mental auquel nous sommes invités.
Démarrant par un très long voyage en voiture sur une route déserte, dans la nuit et en plein hiver, rythmé par les grincements des essuies-glaces, on est directement projeté dans une forme violente de solitude accentuée par le monologue de Lucy. Une sorte de cauchemar éveillé pour cette jeune femme qui veut juste en finir avec sa relation naissante. Le rapport au couple, son incommunicabilité et ses frustrations et le choix difficile d'une vie à deux comme celui tout aussi délicat du célibat, que se pose Lucy rejoint les thématiques de Kaufman. En l'accompagnant pourtant chez ses futurs beaux parents, on saisi l'impasse dans laquelle se trouve la jeune femme tout comme ces échanges souvent vains, à se rassurer du bien-fondé à vivre une histoire d'amour qui n'en a que l'apparence. Première partie pour décliner une discussion croisée et philosophique, de références littéraires ou cinématographiques, oscillant entre complicité et parfait décalage. Les réflexions métaphysiques de Lucy freinées par les interruptions incessantes de Jack en quête de reconnaissance intellectuelle, oscillant entre peur de la perte à venir et joie de présenter sa dulcinée à ses parents, nous fatiguent tout autant mais ont le privilège de bien cerner le sujet. Continuant sur le mode huis-clos avec l'arrivée dans la ferme lugubre semblant abandonnée, la relation familiale et les traumatismes de l'enfance de Jack, sont ainsi posés par un environnement délétère et désolé.
Les hôtes ne semblent pas bien pressés de les accueillir mais un repas apparaît tout autant garni que par magie, dans un salon soudain chaleureux où la discussion dérive lentement vers le discours réquisitoire. Et on sent bien qu'il y a anguille sous roche. Une porte griffée menant au sous-sol que personne ne remarque, ou un chien qui disparaît aussi rapidement qu'il est venu, des peintures et poèmes de Lucy, signées d'une tierce personne, des réminiscences improbables ou des beaux parents inquiétants, traversant les âges par des boucles temporelles sans déranger Lucy outre mesure, interrogent sur la santé mentale de la jeune femme. Jack existe-t-il vraiment ? ou bien est ce le contraire ? Lucy tournant définitivement en boucle sur la nécessité de vouloir juste en finir et rentrer chez elle, occultant les indices d'un Jack qui semble se déliter au fur et à mesure du périple.
La fausse piste Lucy se fait alors jour, avec ce vieil agent d'entretien qui déambule, solitaire dans les couloirs de son collège et qui apparaît régulièrement que ce soit lors d'un appel téléphonique à Lucy ou dans l'esprit de Jack, semblant en savoir long sur l'affaire. Il aidera Lucy abandonnée par Jack sur le trajet du retour, perdue dans le bâtiment, avant de la laisser partir, comme à regrets. Les indices disséminés par Kaufman prennent alors tous leur sens sur la réalité déformée à laquelle nous sommes confrontés.


Une vue de l'esprit qui soigne son traumatisme a l'envi, revisitant ses souvenirs, ses rencontres et ses échecs, tournant également en boucle et qui veut juste en finir, lui aussi. Un homme face à tout ce qui a été perdu. Ce sont alors tous ses regrets au crépuscule d'une vie, qui confèrent au métrage un ton particulier tant il fait écho à nos propres cheminements, et à ce qui nous est permis d'accomplir...ou pas.
Un coup de projecteur sur notre capacité à enjoliver les pires aspects de notre vie, et de se laisser guider par le voyage intérieur pour accepter le drame de l'abandon et les sacrifices.
Un ultime sursaut salvateur, comme un pied de nez à la triste réalité où le fantasme d'une vie rêvée se chante et se danse dans une dernière ovation colorée avant que tous ne disparaissent, clos le chapitre de toute une vie passée à la rater.


Malgré une scène de repas familial qui ne lésine pas sur l'excès des deux actrices principales dans leurs envolées hystériques, une mise en scène sobre à la photographie délicate et aux teintes passées apportent une touche nostalgique supplémentaire, quelques pointes d'humour sur le personnage de T.Collette traversant les âges, la mise en valeur des personnages notamment les expressions parfaitement rendues de J. Buckley, le plaisir de retrouver le discret J. Plemons et la courte présence remarquée de D.Thewlis en font une belle découverte.

limma
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le 8 oct. 2020

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