Au village, sans prétention
J'ai mauvaise réputation
Qu'je me démène ou que je reste coi
Je passe pour un je-ne-sais-quoi
Ces quelques vers de Georges Brassens pourraient soutenir l'errance de Jean Valjean décrite par Eric Besnard, alors que les villageois méfiants lui ferment la porte et que l'aubergiste refuse de l'accueillir.
Car il n'y a pas que sa tête patibulaire, son allure de bête humaine, ou encore son livret de bagnard, non.
Il y a surtout ses yeux, qui brûlent d'une haine sincère du monde, des autres, de l'autorité. Et aussi ce front buté et ce silence lourd d'antipathie et de violence mal contenue.
On s'attend à ce que soit adaptée la destinée du personnage hugolien de manière classique, avec tout ce que cela comporte de rédemption et de personnage transformé. Sauf que Jean Valjean, en 2025, se focalise sur une soirée et la journée suivante afin de dessiner tout le clair-obscur du bagnard.
Ce clair-obscur passe de manière évidente, tout d'abord, par l'éclairage travaillé de chaque instant, que ce soit à la bougie ou, à l'air libre, par les couleurs chaudes du Sud ou la lumière crue. Du vrai travail d'orfèvre ressemblant parfois à certains tableaux de maîtres.
Il passe ensuite par cette opposition entre Valjean et Bienvenu, dont il représente le reflet à la fois déformé et symétrique, connaissant intimement la rage éprouvée et la rancoeur féroce. Un quasi duel animé par la servante Magloire et Baptistine, qui viennent compléter le spectre des attitudes devant la défiance de celui qui restera quoi qu'il arrive assigné à sa position de criminel.
Il définit enfin le personnage principal rustre, voleur, à qui l'on tend la main dans laquelle il crache tout d'abord. Un être tellement à vif qu'il rejette toute idée de bonté, jusqu'à voir représenter à l'écran des visions de pure cruauté, comme si Valjean souhaitait une bonne fois pour toute enjamber la barrière de toute humanité. Tandis que les raisons de sa condamnation et sa vie au bagne, superbe carrière calcaire à ciel ouvert, soulignent l'injustice subie et les cicatrices physiques et psychologiques encore vives.
En convoquant enfin l'amour de la belle langue et du dialogue finement ciselé, Eric Besnard rend parfaite justice à la création et à l'écriture de Victor Hugo. Il livre une adaptation de son univers aussi efficace qu'inattendue, tant elle est ramassée et tendue vers cette rencontre en forme de moment-charnière dans le vie de Valjean s'ouvrant enfin.
Et malgré le surlignage parfois assez pataud de la vision humaniste de l'écrivain, invitant néanmoins à réfléchir sur les maux qui affligent notre temps, Jean Valjean réussit à offrir à son personnage une nouvelle vision, une nouvelle âme en forme de second souffle.
Behind_the_Mask, qui est tombé par terre et qu'c'est la faute à Voltaire.