Restaurateur à Saint Jean-de-Luz, Stéphane Lucas (Alain Chabat) semble avoir une vie bien réglée autour de son restaurant, que lui a autrefois légué son père. Célébrant le mariage d’un de ses fils, Ludo (Jules Sagot), mais découvrant par hasard que ce dernier trompe sa nouvelle épouse avec un homme, Stéphane se rend compte que beaucoup de choses lui ont échappé depuis des années, notamment l’homosexualité de son fils qui n’était un secret pour personne, que ce soit pour son autre fils, David (Ilian Bergala), ou pour son ex-femme. Entretenant une correspondance amicale avec Soo (Bae Doo-na), une sud-coréenne de 35 ans rencontrée sur les réseaux, Stéphane est charmé par ses discussions avec elle et s’intéresse de plus en plus à sa personne. Souvent sur son téléphone et de plus en plus sourd à ceux qui l’entourent, il caresse l’idée de changer d’air et propose à Soo de la rencontrer. Sur un coup de tête, il décide de tout plaquer et de prendre un vol pour Séoul, au grand étonnement de tous, sans même attendre la réponse de Soo. Celle-ci lui écrit seulement qu’elle viendra le chercher à l’aéroport. Mais arrivé là-bas, Stéphane se retrouve à attendre des heures l’arrivée de Soo, en vain. Les heures se transforment en jours et Stéphane, dormant sur un banc à l’aéroport, attend toujours dans un pays qu’il ne connait pas et dont il ne parle pas la langue. Au fil des jours, il va pourtant se lier avec des employés coréens de l’aéroport qui, à force de le voir là, vont le prendre en sympathie. D’autant plus que, partageant son périple et ses activités sur les réseaux, il devient très vite, à son insu, une véritable star des réseaux. Aveugle à sa propre popularité, Stéphane désespère de rencontrer Soo. Il décide finalement de quitter l’aéroport pour essayer de la retrouver à Séoul.


On n’a plus l’habitude de voir Alain Chabat dans le registre de la comédie douce-amère, son image d’éternel Nul et de grand enfant le poursuivant tant au cinéma (Les gamins, Réalité) qu’à la télévision (sa série Astérix Le Combat des chefs, le Burger quiz). Et pourtant c’est oublier ses rôles dans des films comme Gazon maudit, Prête-moi ta main, Le Goût des autres ou encore plus récemment L’Amour ouf. #Je suis là est de ces films où il nous étonne et nous touche par son interprétation d’un homme tendre et naïf, enfermé trop longtemps dans une existence bien réglée, mais qui se rêve une belle histoire avec une inconnue.

Le problème de Stéphane, son personnage, est qu’il est aveugle et sourd aux choses qui n’ont pas besoin de mots pour être généralement comprises. Il a passé sa vie focalisé sur son travail et son restaurant et semble se lasser de cette vie. Dès le début du film, Stéphane s’étonne que tout le monde soit au courant de l’homosexualité de son fils Ludo alors qu’il vient à peine de le découvrir. Toujours rivé sur son téléphone dans l’attente des messages de Soo, il tend à peine l’oreille aux autres, y compris à son autre fils, David, qui s’agace un peu de l’inattention de son père.


Cette inattention est pourtant une composante de la personnalité de Stéphane. Dès qu’il a une chose en tête, tout passe au second plan. C’est ainsi que lors de son long séjour à l’aéroport de Séoul, il ne remarque pas les gens qui, au fil des jours, le croisant dans le hall, se tournent de plus en plus sur son passage, le désignant du doigt ou le prenant en photo comme s’il était une vedette. Aveugle à son environnement et à sa propre popularité suite aux différentes activités qu’il a posté sur les réseaux (cuisine avec un chef coréen, repas avec une équipe de basketteurs, etc...), Stéphane n’a que Soo en tête. La prise de conscience soudaine de sa célébrité lui fera prendre peur et le poussera à sortir de l’aéroport qui, au fil des jours, était devenu pour lui, une sorte de zone de confort.

Sa rencontre avec Soo, plus tard dans le film, et la conversation qu’ils auront, mettra le doigt sur l’inaptitude de Stéphane à remarquer l’évidence, à comprendre ce que l’on a pas besoin de dire. Bref, à voir plus loin que son nez. Ce que Soo appelle le "nunchi", un mot coréen intraduisible en français, qui est la capacité de comprendre ce que veulent les autres sans qu’ils aient besoin de le dire, d’être capable d’évaluer ce que les autres ressentent. Bref, c’est quelque chose qui s’approche de l’intelligence émotionnelle. Dès lors, cette conversation va tout changer pour ce grand rêveur un brin autocentré de Stéphane.


Ainsi, le dernier tiers du film lui fera prendre conscience de l’importance de ce qu’il a déjà, ses fils Ludo et David, inquiets, ayant décidé de venir le chercher à Séoul. On assistera alors à un changement d’état d’esprit de Stéphane qui, depuis sa discussion avec Soo, ouvrira réellement les yeux, s’émerveillera sur la beauté des paysages, l’immensité de Séoul, les cerisiers en fleurs, et sur ce qu’il a de plus précieux dans la vie. Ironiquement, son fils David tombera sous le charme d’une jeune touriste anglaise de passage qui révèlera comprendre elle aussi le sens du mot, au détriment de son fils déjà amoureux d’elle. Un détail qui fera écho à ce qui a fait défaut toute sa vie à Stéphane.


Il n’est pas question de critique des réseaux sociaux ou d’une quelconque érosion de l’empathie et de la communication moderne dans le film d’Éric Lartigau. Au contraire, ici les réseaux sont un outil pour aider Stéphane à partager sa vision du monde et mieux s’ouvrir à celui-ci, son histoire, pourtant si simple, devenant un périple passionnant à suivre pour les autres. Il y a un peu de Lost in translation dans #Je suis là, à travers cette description de l’attente et de l’ennui, du sentiment d’être perdu dans un monde inconnu. Il y a aussi un chouïa du Terminal de Spielberg dans les amitiés et les sympathies que nouent Stéphane durant son attente à l’aéroport. Mais surtout, il y a beaucoup de coeur et de tendresse dans cette portraiture d’un homme plein de candeur, un peu perdu, un peu esseulé, et qui, lentement, prend conscience de la grandeur, de la beauté, et de l’importance du monde qui l’entoure.

Buddy_Noone
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le 21 juil. 2025

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Buddy_Noone

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