Qui aurait cru que les marches qui mènent en pente raide à la Butte Montmartre seraient un jour le théâtre d’un des plus gros morceaux d’action de ces dernières décennies ? Remercions pour cela la saga John Wick, passée, en quatre films, du statut d’honnête série B à canevas effréné pour tout le cinéma d’action contemporain.C’est à Paris, mais aussi à Tokyo et Berlin, que l’assassin increvable joué par Keanu Reeves vient cette fois faire parler sa poudre et ses poings, pour un quatrième shot d’action démesurée.


Rangé des voitures puis contraint de remettre les pieds dans cet infra-monde d’assassins qui refuse de le laisser vivre en civil, John Wick livre dans cet épisode une guerre totale contre l’univers : tout le monde veut le tuer, il tuera donc tout le monde. Impossible de vivre en dehors du système, il faut mourir dedans ou vivre assez longtemps pour le détruire. Voilà à gros traits la trame du film. Mais l’important est ailleurs.


Alors que les trois premiers volets s’attachaient à développer la mythologie autour du personnage (cette contre-société du crime, qui semble évoluer en parallèle de la nôtre sans avoir d’impact sur elle), John Wick 4 entend plutôt tout bazarder, quitte à risquer le K.O. narratif. On ne comprend plus trop bien comment fonctionne la Table, cette société secrète qui gouverne les tueurs, et dont on nous a dit qu’elle avait sa monnaie, ses règles, ses abjudicateurs, un grand Ancien, des rois…


Peu importe : John Wick tend vers l’abstraction narrative (autant que le peut un blockbuster hollywoodien). La narration n’est qu’un prétexte, un passage obligé un peu pénible pour nous propulser dans un flux halluciné d’action.Sur 2h45 de film, deux tiers environ sont des pures scènes de mouvement, mi-pugilat mi-ballet, terrains de jeu pour les plus brillants cascadeurs et chorégraphes du marché. Le réalisateur Chad Stahelski, cascadeur de son état - il était dans Matrix la doublure de Keanu Reeves, qu’il dirige désormais - cherche à réinventer l’action au cinéma, à mettre en mouvement des corps en piochant dans un répertoire large, allant du manga au jeu vidéo en passant par la comédie à la Buster Keaton.


De tous les morceaux de bravoure du film, qui en est gorgé, la partie française fascine : Stahelski exploite avec brio la géographie de l’urbanisme parisien. Place de l’Étoile, John Wick livre une baston homérique tout en mouvement circulaire, métaphore de la boucle sans fin dans laquelle le personnage est enfermé. Preuve que le film pourrait faire sens en se passant même de dialogues.


À Montmartre, les marches qui montent au Sacré-Coeur deviennent un niveau de jeu vidéo, où chaque micro-ascension pour atteindre le « boss final » se fait au prix d’un ennemi abattu - remonter la hiérarchie du pouvoir, un geste forcément sacrificiel. On déguste alors le film comme on jouit d’une comédie musicale, chaque coup marquant le rythme d’un frénétique opéra. Fait rare dans l’action contemporaine, c’est au tournage que se joue la réussite de l’entreprise et non au montage : on n’est jamais perdu, tout est lisible, les scènes s’allongent et s’étoffent (à rebours du standard Marvel qui multiplie les coupes pour simuler le rythme).

Léger vertige quand on mesure le degré de préparation et de méticulosité qu’il a fallu pour réussir tour de force aussi radical.


De radicalité, c’est bien de cela qu’il s’agit, au sens premier : le retour aux racines. Hollywood repose sur une promesse matricielle relativement simple et pourtant très belle : donner à voir dans ses films ce qu’on ne verra jamais ailleurs.Quand la majorité de l’industrie a abdiqué et tourne au régime de la photocopieuse, John Wick revendique le renouvellement de cette promesse. Il réimpose la cascade comme un art en soi, va au-delà des attentes du public.Wick le personnage se dresse face à un monde mafieux qu’il est prêt à démembrer jusqu’à la dernière place pour gagner sa liberté. Wick le film met une raclée humiliante au tout-venant industriel, esquissant un contre-modèle esthétique, plus artisanal, (en partie) émancipé du cahier des charges narratif actuel.Les techniciens et cascadeurs y seraient rois, et non les tableaux Excel de producteurs gestionnaires d’actifs. Certes, c’est peut-être trop demander à Keanu Reeves que de changer Hollywood. Il est en aussi le produit. Mais quand même. Puisse John Wick tout casser.

Cyprien_Caddeo
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le 28 mars 2023

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