N’est-ce pas ironique de se dire qu’avant d’être le couronné inattendu de la Mostra de Venise 2019 et acclamé par la critique et le public au moment de sa sortie, le projet d’un film background autour du plus grand ennemi du chevalier noir de Gotham relevait simplement d’une tentative bordélique, sans organisation ni vision de la Warner pour sauver les meubles de leur DC Univers réduit en confetti niveau cohérence et continuité des films depuis Justice League ?


Et qu’en prime, il ne partait absolument pas avec les meilleures armes pour se construire un minimum de personnalité : entre le choix du réalisateur qui n’a versé que dans les comédies grasses et bas du bec avec sa trilogie Very Bad Trips, Joaquin Phoenix dont une interview a tourné le projet à la blague quand il ne semblait même pas savoir qu’il interpréterait le Joker ou encore les sorties récentes d’Aquaman et Shazam qui sont sortis aussi vite qu’ils sont devenus anecdotiques sans pour autant être des échecs critiques. Comment penser, à partir de là, qu’un Dark DC ou des projets annexes d’univers parallèle ou je ne sais plus quelle connerie précise peut encore sauver les meubles quant on sait que les approches ténébreuses ne sont pas spécialement couronnés de succès côté super-héros dernièrement (en témoigne le pitoyable reboot d’Hellboy) ?


Pourtant, de la même manière que je n’étais absolument pas emballé par le projet Logan en 2017, on se surprend avant tout à voir, une fois l’ouverture entamée, que Joker suivra une voie similaire en s’inscrivant ici dans sa propre lignée narrative et son propre univers. Mais surtout en proposant une véritable approche neuf du Joker en la personne ici d’Arthur Fleck : un clown mal vue par son entourage à ses heures de travail, un comique raté en mal de réussite sociale et professionnelle et surtout couvé par une mère mentalement faible et déjà instable. Un background qui n’avait plus été travaillé avant l’avènement du clown prince du crime depuis le Batman de Tim Burton.


L’approche innove par une proximité établie par Todd Phillips avec sa caméra qui devient étonnamment plus expressive et communicative sur le parcours du personnage. Il est peu surprenant que parmi les influences du film, Taxi Driver soit cité par certains puisque la descente mentale d’Arthur s’exprime tant par cette teinte crasseuse que par la ville de Gotham déjà en proie à bien des tourments sur le plan économique et social, ainsi que les inégalités entre les classes. Ou encore par son mépris et la frustration de plus en plus explosifs à tel point qu’il devient un laissé pour compte malgré ses efforts. Le mouvement est plus mûrement réfléchie contrairement au plan-plan d’un Very Bad Trip


(le plan-séquence lors de la première prestation amateur d’Arthur, le très lent travelling sur Joker avant que le rideau du show télé ne s’ouvre)


, garde une proximité logique et forte du début jusqu’à la conclusion et déclenche un profond malaise de plus en plus prononcé au fur et à mesure que notre attachement à ce monsieur tout le monde un peu paumé se métamorphose et perd tout repère dans les sous-intrigues qu’il traversera.


On n’est pas à l’abri de certaines touches d’immaturité


(le coup de gueule du Joker sur le plateau télé, l’intention est facile à comprendre et largement bienvenue mais les mots me paraissent très maladroitement choisie)


mais les diverses manière d’exprimer la descente infernale du futur bouffon sont nombreuses et si forte à la fois. Le rire non naturel issue de l’handicap d’Arthur, le rapport familial vis-à-vis de sa mère Penny


ou de Thomas Wayne bien évidemment (mais qui aurait pu être meilleur sans forcément inclure la scène de l’exécution des parents qui fait à moitié redite sur le film de Tim Burton, le Joker devenant de nouveau responsable de la mort des parents de Bruce même si c’est indirectement dans le cas présent)


, et bien sur le symbole qu’il inspire auprès de la populace marginale en question mais auquel il n’accorde pas son intention. On en vient même à voir Arthur fantasmer sur ce qu’il aurait voulu que soit sa vie, au point qu’on en vient à partager ses émotions un premier temps… puis petit à petit à les rejeter et à se retenir de se mettre à sa place au fur et à mesure que sa stabilité mentale décline et que la vérité sur son existence gagne en pathétisme échelonné lentement sur la durée.


Mais il n’est pas toujours mis à l’honneur par la musique plus assourdissante et agaçante une grosse partie du temps que véritablement oppressante. Si le choix sonore d’Hildur Guðnadóttir se justifie par le ton plus terre à terre sur l’approche du personnage et le tension gangrenant le métrage, il passe en revanche bien moins en tant que tel et finit même par desservir le traitement du clown prince du crime en rendant certaines scènes censées iconiser le personnage plus balourd qu’autre chose (la danse en transe dans les toilettes publiques) et en peinant à varier ses notes musicales. D’autant que ce préquelle à l’arrivée du Némésis de Batman aurait mérité d’être moins tape à l’œil sur un certain nombre de détail pour les fans du personnage et des comics (la pancarte "Ne pas oublier de sourire", le gros titre de journal "Mort aux riches" déplacé) alors que les émotions transmises par Arthur que ça soit son rire tantôt incontrôlable et handicapant, et tantôt représentatif de l’état mental et moral du comique raté en disent beaucoup plus long et suffisamment pour nous captiver jusqu’au point de non retour.


En revanche je me refuse à croire que ce préquelle au personnage puisse être vu comme une apologie de l’anarchisme selon certains, ou même foncer tête baissé sur une critique distordue entre la bourgeoisie et le bas-peuple au travers des déboires du personnage. On parle du Joker, et quelque soit sa version il n’est pas question d’en faire l’apologie. On montre comment ici il a basculé dans la folie et est devenu un symbole d’anarchie et de chaos au sein d’une ville déjà bien gratiné en terme de problème économique et social. On peut bien sur y voir des rapprochements avec notre société (les difficultés des aides sociales aux vivres coupés par l’administration de la ville et desservant les cas sociaux en mal d’insertion sociale et professionnelle), ce qui n'est pas une première mais il ne faut pas oublier une chose : le Joker reste un personnage de comics, avec certes une multitude d’approche à travers les époques et des visions multiples dont celle-ci.


Il serait davantage à présenter comme une immense anomalie dans le système hollywoodien actuel par son statut de film à super-vilain, extrêmement audacieux par l’approche plus humaine mais tragique du prince du crime dans l’univers créer par Bob Kane sans concession pour le protagoniste et surtout une énième performance à tomber par terre signé Joaquin Phoenix qui n’avait déjà plus rien à prouver en tant qu’acteur depuis le succès de Gladiator en passant par la filmographie de James Gray ou encore Her. Pas sur que le même miracle se reproduira au sein de DC mais en tant que tel et pris indépendamment des autres films récent du DCU, Joker a une immense valeur pour le passif de l’un des plus grands antagonistes jamais crée.

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le 12 oct. 2019

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