Le film de trop ?

Xavier Dolan est pour moi beaucoup de choses, mais avant tout, il est un génie de sa génération, qui a réussi à percevoir et à livrer une vision pertinente et émouvante d'une façon novatrice et vraie. Voilà toute l'estime que j'ai pour lui, tous les sentiments positifs qu'il déclenche et a déclenché chez moi. Comme on peut s'en douter, j'avais de grands espoirs, mais aussi de grandes peurs, concernant ce nouveau film au casting entièrement français et qui se déroule en huit clos. Je suis ressortie de la salle de cinéma énervée. Parce que son film m'a profondément déçue, que pendant toute la séance j'attendais, j'espérais, et que rien n'est venu. Ce n'est pas un mauvais film, loin de là. Mais ce n'est pas un chef-d'oeuvre qui renverse le spectateur et lui apporte quelque chose.
Le film, tiré d'une pièce de théâtre, est simple, nous présente une famille réunie et déchirée -comme toutes les familles semble-t-il. Le personnage principal revient, c'est un marginal, différent, qui a quelque chose à annoncer à ses proches qu'il ne connaît plus et qui crient sans entendre. Chacun a son histoire et ses souffrances.
On comprend que Dolan souhaitait faire un film traitant de choses universelles, la famille, les relations entre chacun dans une famille, l'individu dans son groupe familial, le poids du passé, les mensonges, les espoirs et la fatalité. Cependant il n'y arrive pas, bien au contraire, il nous éloigne de ces gens en nous en rapprochant, et manque son but originel. Mais toujours en beauté et intelligence, comme le sont tous ses films.

Je vais commencer par le choix des plans très serrés, qui obligent le spectateur a être toujours proche, collé aux personnages, sans jamais pouvoir prendre du recul. Je comprends qu'il s'agissait d'un choix volontaire et défendable pour Dolan mais je n'ai pas adhéré, loin de là. On ne peut pas "respirer" et j'avais envie de voir les choses d'un point de vue plus large, de pouvoir embrasser la scène d'un coup d'oeil. J'ai trouvé cette manière de filmer désagréable et inutile, car constante et réutilisée constamment, sans ajout réel à l'histoire et aux émotions transmises.
Je peux aussi parler de l'esthétique, de ses choix concernant la lumière, les couleurs et les endroits. Je n'aurais pas pu être plus déçue par Xavier Dolan. Son esthétique colorée et moderne sont ce qui fait sa "patte", le caractérisent et lui ont permis de s'affirmer comme réalisateur de sa génération. Ici, je n'ai rien vu qui apporte à son film, rien de nouveau, que des choses "jolies" mais creuses, sans réelle raison d'être.

Maintenant, passons au casting. Je ne tiens aucun des acteurs dans mon coeur, bien au contraire. Je dois cependant souligner la remarquable efficacité avec laquelle Dolan exploite le jeu de Vincent Cassel tout comme -dans une moindre mesure- celui de Léa Seydoux. Cependant j'ai trouvé Marion Cotillard futile dans son rôle qui offrait pourtant de magnifiques opportunités à une actrice. Mais elle reste fade et sans vie, comme elle l'est dans ses autres rôles. Gaspard Ulliel est gloabelement assez bon, ne nous bouleverse pas violemment mais offre tout de même une très belle performance.
Le scénario aurait pu être bien plus exploité à mon avis. Les choix scénaristiques et esthétiques du réalisateur font qu'on assiste à une pièce vivante où chacun crie, pleure, s'agite, sans quelconque harmonie globale. Aucun des choix faits ne sert l'histoire, ne nous aide à compatir, à comprendre et à traverser ce que vit ce jeune homme, parti de chez lui depuis longtemps. Au contraire, on ne comprend pas et on passe à côté de beaucoup de choses qui nous sont presque cachées.
On peut également souligner les thèmes, si chers à Dolan, qui reviennent dans chacun de ses films et que l'on retrouve ici aussi. Mais cette fois, non, je n'adhère pas. Certains réalisateurs peuvent parler de la même chose toutes leurs carrières et briller à (presque) chaque fois, d'autres non. Et Dolan commence à perdre sa fraîcheur, son regard à la fois acéré et triste sur le monde. Dans "Juste la fin du monde", ces thèmes apparaissent clairement mais n'arrivent pas à l'objectif recherché et nous donne l'impression de regarder un autre film de sa filmographie. Rien de surprenant et de renversant.
L'ensemble, selon moi, ne tient pas. Il nous perd en court de route, nous éloigne de l'idée qu'il veut faire passer. Les sentiments ne sont pas là, l'attachement ou la tristesse nous désertent. Nous ne sommes que des spectateurs obligés de subir son film magnifiquement bien léché, beau et très bien organisé. Je suis restée sur ma fin, en manque du Dolan que j'aime d'habitude, de celui qui revendique en sublimant, qui me tient en haleine, accrochée au moindre mouvement de caméra et éblouie par chaque geste. "Juste la fin du monde" m'a paru creux, vain et surtout très frustrant pour moi qui aime tant ce réalisateur. En espérant que ce n'est qu'un film moins impressionnant dans son parcours.