On l'aime bien, Alexandre Astier ; c'est un sentiment assez partagé, il est estimé, reconnu comme un créateur ayant son univers bien à lui, Kaamelott, qu'il nous fait explorer depuis vingt ans déjà.
Le casting prestigieux en témoigne, Astier a plein de copains dans le monde du cinéma français, tous contents de venir faire leur caméo chez leur pote Alexandre.
(En revanche, l'absence au générique de Frank Pitiot, alias Perceval, a beaucoup fait gloser.)
On l'aime bien, Alexandre Astier ; le problème, à un moment donné, c'est peut-être qu'il s'aime bien aussi — un peu trop ? Il a sa vision, son projet, ses idées. Il disserte très sérieusement, et brillamment, sur le cinéma ; voyez par exemple son passage au Vidéo Club de Konbini : l'étendue de ses connaissances cinéphiliques paraissait augurer d'une vision artistique affirmée ; et dès lors, Kaamelott au cinéma, on allait voir ce qu'on allait voir, parce que ce qui est sûr, c'est que ça serait ambitieux.
Rappelons, pour ceux qui auraient vécu dans une grotte, que Kaamelott a d'abord été une série comique, une espèce de Caméra Café, version quête du Graal. La tonalité deviendra de plus en plus sombre au fil des saisons, si bien que la dernière de la série nous emmena vers des rivages tout à fait inconnus, gravité, sérieux, destinée... tout cela, certes encore quelque peu emmêlé, révélait chez Astier des vues créatrices plus amples que ce que permettait le média télévisuel.
Et on devinait bien dès lors que le passage au cinéma, une dizaine d'années après la fin de de la série télévisée, lui fournirait l'occasion de développer la vision esquissée dans cette dernière saison. Bref, attendez-vous à un scénario aux oignons, c'est "son univers bien à lui", donc ça fait des années qu'il sait où il va nous emmener.
Or je le dis sans ambages : alors qu'Astier se prend de plus en plus au sérieux, la fraîcheur a déserté sa création. Car que dire, enfin, du film qui m'occupe ici, sinon qu'il ressemble surtout à une suite de sketches accolés les uns aux autres ; sketches transformés en autant d'intrigues parallèles, nous narrant les péripéties qui attendent aux quatre coins du monde connu les envoyés de la nouvelle Table ronde — l'originale ayant brûlé avec la forteresse de Kaamelott, à la fin du premier film, en 2021.
Point commun de ces intrigues parallèles, une structure façon partie géante de Donjons et dragons : tel groupe va à tel endroit, se trouve confronté à tels obstacles, et comme on s'achemine doucettement vers la fin du film, le maître du donjon Astier consentira, à un moment donné, à boucler les différents sketches. Parce qu'il le faut bien.
Et je dis bien "boucler", c'est le bon mot : conclure, ce n'est pas le genre de la maison. N'est-ce pas ici le premier épisode du second volet ?
Caricature ? À peine. On dirait qu'Astier a proposé à ses potes d'avoir chacun sa petite histoire dans la grande, tout à sa persuasion que le grand récit censé les englober toutes en mettrait plein les mirettes.
Pourtant, ledit récit est condamné, structurellement, à manquer d'unité. Dans une certaine mesure, ce n'est pas un problème. Mais qu'il en manque totalement, et ne nous conduise pas spécialement d'un temps "t" de l'action vers un dénouement précis, selon une certaine progression dramatique, finit par être gênant.
La supposée virtuosité des dialogues, héritage totémique de la série, sombre quelque peu dans la facilité. Ou du moins, se trouve selon moi parasitée par la façon dont les acteurs jouent, tous, suivant le même modèle : Astier, tel qu'il incarne son Arthur qu'un rien agace et dont le caractère soupe-au-lait envahit chaque réplique, chaque mimique.
D'où une impression d'uniformité lassante, voire de prodigieuse répétition du même, d'un bout à l'autre, et le tout sur le ton empesé, sur-démonstratif, du mec-qui-sait-ce-qu'il-fait.
On perçoit qu'Arthur et Lancelot sont désabusés après avoir dû s'affronter à la fin du premier film. Mais plutôt que de les faire évoluer, en reprenant là où nous avait laissé le premier volet, Astier installe ses personnages dans une sorte de stase : leur intrigue n'avance plus d'un iota, si bien qu'on les verra sempiternellement bloqués dans leur indécision, pansant plutôt mal que bien leurs plaies — et voilà ce qu'il advient de l'idée de scénario.
Je me contenterai de ces constatations, qui ne font certes pas une critique de film, mais sans être mauvaise langue, faut-il bien parler ici d'un film ? Sans doute grisé de disposer de moyens tels qu'ils lui permettent de mettre en scène des jolis CGI, pas pressé d'avancer, Astier étale durant plus de deux heures une certaine impuissance narrative, si bien que je ferai pour terminer l'hypothèse qu'une forme de masochisme serait à l'œuvre ici, qui interdit tout bonnement au récit d'avancer vers un but précis.
Non parce que ça l'amuse, mais parce qu'il n'y arrive pas ; à vrai dire, l'esprit de sérieux est tel que je me demande si ça l'amuse encore de nous causer de Kaamelott.