Tout commence avec trois envolées de cors à plein poumons. Comme d'habitude, oui. Mais cette fois, cette petite cacophonie bien connue du public n'a pas la même saveur. Elle est au goût de victoire et de célébration.


Dans la salle, c'est la grande réunion des peuples. A l'arrière, une cohorte de fans en joie après une longue diète imposée, prêts à braver vaillamment les lois du pays pour rire à gorge déployée et tailler le saucisson sur leur siège de fortune. Juste devant eux, des fans plus sages venus payer leur tribut au roi avec modestie et sens du devoir. Parsemés dans la foule, des petits curieux, se rappelant vaguement avoir passé un moment ma foi pas désagréable devant M6 pendant que l'eau des pâtes cherchait l'ébullition. La nouvelle génération est là aussi, les oreilles pleines d'espoir, prête à reprendre le flambeau et assurer la pérennité de la saga en inondant la twittosphère de ses répliques préférées.


Et puis tapis dans l'ombre se trouvent les dissidents, divisés en deux catégories : D'abord les hérétiques, uniquement présent dans le but de se gausser de la beaufitude de leurs semblables. Ils n'hésiteront pas bien sûr à se faire entendre après coup pour réaffirmer leur supériorité en matière de goût artistique. Et puis les incrédules, ces pauvres bougres qui peinent à comprendre depuis toujours le phénomène Kaamelott, mais qui persistent, au cas où…
Sans oublier David et Justine, cet archétype du petit couple français en quête de rire ou de sensation forte qui vient chaque semaine ou presque au cinéma découvrir le nouveau film à la mode sans toutefois prêter plus d'attention à la programmation.


Mais si notre bon roi proclame à qui veut l'entendre que cette nouvelle aventure est accessible à tout venant, il en est de mon point de vue une vérité bien différente. Au-delà de l'évident fait de ne pas capter toutes les références, c'est tout le poids émotionnel de certaines scènes clés qui me semble passer complètement à la trappe sans le background associé.


Après évidemment, il faut savoir que Kaamelott ce n'est pas toujours trois glandus qui lâchent des vannes en attendant de savoir qui décrochera la palme de la connerie. Des fois, c'est autre chose. Parfois, c'est bien plus que ça. Pour paraphraser le Sire Astier : "Kaamelott, si vous coupez le son, ça doit paraitre sérieux".

Qu'est-ce que vous entendez tous exactement par : Il est de retour ?



Des série françaises y'en a de toutes sortes : des bonnes, des mauvaises... des pleines cagettes y'en a. Mais une fois de temps il en sort une exceptionnelle. Un mythe, une légende. Elles ont toutes un point commun. Un pouvoir secret. Elle ne se battent que pour la dignité des faibles.


Kaamelott c'est avant tout l'histoire d'une quête impossible. Le quotidien de personnages trop petits pour leur fonction qui font face à des enjeux trop grands pour leur raison. Une fresque fantaisiste où la magie des dialogues est bien plus puissante que tous les artifices visuels imaginables.
Une relecture de la grande légende Arthurienne cuisinée à la sauce à l'échalote. Car oui, il n'y pas de bon français qui s'ignore. Au royaume de Logres, la paresse est roi. Derrière les velléités chevaleresques, la réalité de l'humain. Un peu de courage, beaucoup de fromage, bienvenue dans un monde où les réunions bouffe sont plus épiques que les combats à l'épée. Kaamelott c'est une allégorie de l'administration française, la vie de braves fonctionnaires un peu trop haut placés qui assurent le minimum pour ne pas se faire coincer, et donnent leur maximum pour tirer au flanc quand la moindre occasion se présente.


Et forcément quand vient l'heure d'un passage sur grand écran, se pose la question d'un gain d'ambition. Derrière la promesse d'une trilogie, l'envie de venir s'asseoir à la table des grands, Star Wars en tête, non pour y siéger de manière permanente, mais avec l'humble désir d'y partager un petit gueuleton sans passer pour un gros pécore le temps du repas.


Déjà, il faut bien se le dire, on est loin d'un budget de blockbuster américain. Kaamelott reste et restera une ode à la bricole, ce noble art qui consiste à se faire passer pour plus beau qu'on ne l'est vraiment. Ce qui ne lui empêche pas pour autant de piocher dans la salle des coffres pour assurer le spectacle.
Les costumes n'ont jamais été aussi réussis, la photographie épouse parfois de bien jolis plans, et n'en déplaise au jurisconsulte qui ne manquera pas de nous crier qu'il n'y a pas plus un radis, le final se permet même le luxe de balancer des effets spéciaux. Et puis il y a cette B.O, digne d'un grand film, absolument magnifique, parfois presque trop belle pour ce qui se passe à l'écran. Elle résume à elle seule l'amour que porte le créateur à sa création.


Là où ça pèche en revanche c'est dans la mise en scène, qui ne parvient pas à passer le cap espéré pour cette première aventure en salles obscures. Un défaut de maitrise quand la caméra se met en mouvement, regrettable par exemple lors de ce faux plan séquence sous la Bretagne qui aurait pu être un bel élan de cinéma. Et cette sensation d'être toujours très proche de l'écran, très télévisuelle dans l'âme. Il y a bien sûr des efforts réalisés : une ouverture sur l'extérieur notable, et des décors en conséquence plus variés. Aussi quelques plans larges, comme ceux des Burgondes, très esthétiques ; Ou celui qui nous laisse enfin porter les yeux sur le château dans son ensemble, pour le grand plaisir des fans et de l'office du tourisme de la région Auvergne-Rhône-Alpes.


Mais l'ensemble manque d'envergure. Cette même envergure que refuse d'embrasser le roi au moment de combattre dans une tentative d'affrontement final qui cite les duels Jedi sans jamais s'en rapprocher. Un Perceval sauvage aurait certainement conclu la scène par un truc du genre "heureusement que le ridicule ne tue pas", ce qui dans sa bouche aurait plutôt sonné comme un "heureusement que le funambule ne crie pas", ce qui ne veut absolument rien dire mais l'effet reste le même.


Tout cela n'étant pas aidé par un montage justement décrié, qui nous laisse parfois pantois sur l'enchainement de certaines scènes. On pense bien sûr à celle de la tour, un des sommets d'émotion du film dont le climax disparaitra bien vite pour revenir à la fanfare générale. C'est aussi parfois ce sentiment que tout va plus vite que la musique, que certains moments sont survolés, qu'il manque des scènes même, parfois. D'aucuns rêveront peut-être de l'existence d'une version longue. Une version où Arthur et Merlin se verraient offrir de dignes retrouvailles…


Car un bon chef d'orchestre, Astier a composé sa partition avec le rythme comme mot d'ordre. Dans le fond, c'est un choix artistique assumé et respectable, qui porte en partie ses fruits puisque le rythme n'est que rarement pris à défaut, à l'exception de ces trop nombreuses séquences de flashback qui alourdissent péniblement le récit, et n'apporte finalement pas grand-chose à l'ensemble.

La Menace Fandom



Derrière la volonté d'une transposition sur grand écran, il y a l'impératif de temps, le défi de tout caser sur une tartine de deux heures sans s'en faire dégouliner sur le pantalon. A commencer par les personnages, si nombreux dans la série que les fans assidus ne manqueront pas d'établir la liste des absents. Alors, dans ce grand esprit de camaraderie qui définit bien l'ambiance générale, on essaie d'en donner un peu à tout le monde. Chaque personnage a droit à sa petite réplique, son petit moment, même si lors du décompte final les rapports sont forcément déséquilibrés.


En bas de la liste, on retrouve le père Blaise pour qui chasteté est devenue castration, ou encore la Dame du lac dont j'aurais aimé voir la tête de l'interprète à la lecture de son script. En haut, sans surprise, l'indécrottable duo Perceval-Karadoc qui nous offrira encore tout l'éventail de son arsenal. Car oui n'oublions pas que le fan est un animal qu'il vaut mieux caresser dans le sens du poil. En guise de friandise il sera même gâté d'un jeu loufoque dont seul le pays de Galles a le secret (Et qui vient faire irruption à un moment un peu surprenant).


[Interlude]
Ici une pensée sincère pour David et Justine, dont les regards hagards se sont croisés, cherchant alors l'un dans l'autre la manière la plus propice pour répondre à la scène. A l'entrée des robroles, Justine haussa les sourcils en signe d'agacement, visiblement peu convaincu par la perspective de robroloque. David lui, n'était pas en meilleure posture, mais parvint tout de même à reprendre un peu d'oxygène en pouffant légèrement au moment du brisage de noix. Durant la nuit, Justine fut traversée d'un rêve étrange. Entouré d'hommes à plumes à l'objectif non déterminé, elle faisait face à une foule médusée qui attendait d'elle quelque chose dépassant sa compréhension. Restée figée sur place, elle fut sauvée par un membre du supposé public qui lui balança un "Quatre coquillous dans les choux ma cocotte faut se réveiller" ! Elle préféra de ne pas en faire part à son compagnon. D'ailleurs sans s'en parler, le couple décida mutuellement de ne jamais revenir sur ces évènements.


Plus sérieusement, cette scène de jeu improvisé illustre bien les limites du fan service dont se retrouve victime ce premier volet. Bon déjà, le jeu en lui-même n'est pas des plus convaincant. Trop exubérant, trop démonstratif, et surtout absolument imbitable. Tout le monde sait que le plus important c'est les valeurs, mais dans le cul de chouette au moins il y avait une base sur laquelle compter.


Mais elle est aussi l'illustration du recyclage dans lequel s'embourbe ce premier galop. Si dix ans séparent l'exil d'Arthur de son grand retour, ces nombreuses années passées sous le joug sans fruit d'un Lancelot au costume littéralement trop grand pour lui n'ont pas aidé nos personnages préférés à évoluer. Ainsi on retrouve chacun d'entre eux quasi inchangé, à l'exception peut-être de quelques rides et d'un ou deux cheveux gris. Au moment de dire bonjour, chacun déploie sa posture habituelle, et lâche dans la foulée un bon mot qui viendra garnir son petit répertoire.


Une caractérisation systématique qui s'explique en partie par une envie d'accessibilité à un nouveau public qui pourra ensuite s'aventurer dans la série avec un bagage solide sur les codes en vigueurs. Mais à force de répétition certains gimmicks en perdent de leur superbe, à l'image du roi Loth, conspirateur retraité, qui à force d'en chercher son latin fini par épuiser tout son potentiel comique. On en vient même quelquefois à complètement anticiper les réactions dans leurs moindres détails, murmurer les mots avant même qu'ils ne sortent de la bouche de leur propriétaire.


Mais n'allez pas non plus me faire dire que l'édifice prend l'eau. L'ensemble reste très drôle, riche en répliques percutantes, avec toujours cette science du dialogue inimitable. Occasion faite de mentionner la grande forme de ce bon vieux duc d'Aquitaine, dont on va finir par regretter son arrivée trop tardive dans la série. Et d'évoquer Léodagan, toujours aussi tranchant, pas demain qu'il se retrouvera à planter des navets.


Et puis il y a quand même ce petit vent de fraicheur apporté par les nouveaux venus. Alzagar, incarné par un Guillaume Gallienne qui épouse parfaitement la prose de l'auteur. Horsa et Wulfstan, le petit coup de Saxon qui va bien. Le chevalier seiche, symbole d'une jeunesse conquérante dont la légende n'est plus qu'à écrire. Fraganan et Lamorak, rappel s'il en faut qu'il y a toujours un peu de place pour de la famille. Et Maclou qui .... Bah qui est là, n'oubliez pas Maclou. Pourquoi personne ne parle de Maclou.


(Liste non exhaustive, ne croyez pas que j'ai oublié les autres).


En définitif, KV1 n'est pas un aboutissement, tout juste une grande introduction à un nouveau voyage dont il faudra attendre le dénouement pour rendre un jugement définitif. Débarrassée de certains impératifs, la suite se devrait être plus audacieuse. Plus sombre même, peut-être, comme en laisse présager la scène post générique. L'occasion de recoller à certains élans dramatiques du livre V et VI non retrouvés pour ce premier volet. L'occasion aussi de remettre la quête du graal sur la table et faire décoller pour de bon une intrigue pour le moment statique.


Et là j'ai envie de dire : "Dum Fabula, Spero", ça n'a aucun sens mais on pourrait très bien imaginer une traduction du type "tant qu'il y a de l'histoire, il y a de l'espoir". Ce qui ne veut rien dire non plus.

LeMalin
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le 5 août 2021

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