Des vraies conneries à la fauconnerie

[Critique contenant des spoils]


Plus que du réalisme, Ken Loach se revendique cinéaste de l'authenticité. Ainsi emploie-t-il souvent des acteurs non professionnels, recourt-il à l'improvisation, laissant parfois les acteurs dans l'ignorance du scénario pour mieux capter leur surprise ou leur émotion. Et ce, dès son deuxième long métrage : le jeune David Bradley pensait réellement qu'on avait tué son faucon, alors que, bien sûr, Ken Loach avait utilisé un oiseau déjà mort en tout point semblable.


Si son cinéma a presque toujours une certaine force, Ken Loach, à mes yeux, a deux travers : son côté militant qui le pousse parfois à un certain manichéisme ; et sa tendance au mélo qui le fait tomber dans certaines facilités. Lorsqu'il se garde de ces deux écueils, Loach réussit de grands films.


C'est le cas ici. Certes, Loach dénonce un système éducatif rigide et peu à l'écoute, une société qui n'offre guère de perspectives aux mal nés, reproduisant presque mécaniquement la ségrégation sociale. Mais il le fait avec nuances : on voit à l'oeuvre un enseignant compréhensif, et des services sociaux qui essaient, tout de même, de bien faire. Côté tire-larmes, pas d'excès non plus : Billy enterrant son faucon, c'est plutôt émouvant car le réalisateur a le bon goût de ne pas en rajouter. Il ne fera pas toujours preuve d'autant de retenue.


La première scène est programmatique : Billy partage le lit de son demi-frère Jud, une façon très simple de planter un cadre misérable. La rudesse des échanges est tout de suite palpable, et il y a cette violence, anodine ici mais annonciatrice de ce qui va suivre : Jud oblige son frère à se relever pour éteindre la lumière ! Un peu plus tard il le réveillera en pleine nuit pour qu'il lui enlève son pantalon. Le niveau de violence culminera avec Jud qui cherche son demi-frère au collège pour lui infliger une raclée, enfin la vengeance sur son oiseau, qu'on sentait venir...


Etrange famille. La mère semble à peine plus âgée que Jud, et les deux s'insultent copieusement. Billy n'y trouve pas sa place, ce qui le pousse à s'investir ailleurs. Ce sera la fauconnerie, qui l'empêchera d'en faire de vraies : on le suit distribuant des journaux, chapardant du lait, puis un livre dans une libraire, suscitant la méfiance de son employeur. Audacieux, répondant toujours aux adultes avec aplomb. Une sorte de Gavroche du Yorkshire en quelque sorte - on a évoqué aussi Billy Elliot, ou l'Antoine Doisnel des 400 coups, pertinent. Dans ce rôle, le jeune David Bradley est merveilleux de naturel, comme souvent les acteurs principaux chez Ken Loach.


En lisant le résumé, je craignais le film plein de bons sentiments (à la Billy Elliot justement) : la passion qui sauve le jeune défavorisé, triomphant du déterminisme social. Mais Ken Loach traite bien son sujet, en se contenant de nous montrer des tranches de vie captées avec beaucoup de talent, et toujours en prenant le temps de nous en faire ressentir la substantifique moelle. Notamment dans trois très belles scènes. Nous avons déjà évoqué la soirée dansante, avec les regards échangés, les femmes ou les filles qui pouffent à la chanson paillarde. Deux autres scènes sont marquantes.


D'abord le match de foot, avec cette figure du prof-entraîneur qui s'avère être une star du foot frustrée et qui se comporte comme un gamin, mauvais joueur, imposant sa loi sur le terrain, re-tirant un pénalty jusqu'à marquer, excluant le capitaine d'en face, se vantant auprès de ses coéquipiers. Billy, comme toujours, n'a pas de tenue alors le prof lui en donne une, où il est passablement ridicule (mais, pour le spectateur, le vrai ridicule, c'est le prof !). Il est le dernier à être choisi, avec un obèse, l'occasion d'aborder la stigmatisation des gros à l'école. Humilié donc (on le force à se mettre nu devant les autres), mais malin comme un singe : c'est ce qu'expriment les acrobaties qu'il préfère à son rôle de gardien de but (les deux gros ne s'investissent pas non plus, ce qui est significatif). On retrouvera ces acrobaties plus tard dans la salle de change de la danse, alors que son frère le cherche. Dans les vestiaires après le match, le prof continue à harceler Billy et aucun de ses copains ne l'aide. Douche froide obligatoire. Par cette scène de foot, là aussi étirée longuement, Ken Loach parvient à faire passer un maximum de choses avec légèreté, humour même, lorsque le score Manchester - Spur s'affiche en bas de l'écran.


La deuxième grande scène que je veux évoquer est la convocation chez le directeur. Elle fait suite à une célébration religieuse, ce qui nous permet de vérifier que le directeur ne met pas vraiment en oeuvre les préceptes christiques - banale charge anticléricale. Les garçons sont soupçonnés de fumer et, pour ne pas se faire choper un paquet à la main, ils mouillent un jeune qui avait un mystérieux message à transmettre en l'obligeant à prendre le paquet. Là est la bonne idée : le gamin, forcé de montrer le contenu de ses poches, est terrorisé, et nous avec. La scène fonctionne magnifiquement. Elle nous permet aussi de ressentir l'impasse pédagogique dans laquelle se trouve cette institution puisque le directeur avoue lui-même qu'il ne parvient pas à mater ces jeunes.


Par opposition à la rigidité du directeur, le "bon prof" ressort très bien (eh oui, il faut toujours des bons et des méchants chez Ken Loach : mais, nous l'avons dit, il fait preuve de retenue dans ce film-là). Il donne une vraie place à Billy, qui parvient à captiver son auditoire. Pas suffisamment toutefois pour qu'il prenne confiance en lui : lorsque le conseiller du "placement" lui demandera s'il n'a pas un hobby, Billy ne répondra rien. La mine ou le stylo, telles sont les deux seules options qui s'ouvrent à lui.


En avortant l'aventure, avec le "meurtre du faucon", Ken Loach se montre, comme souvent, pessimiste. Outre d'assez belles images, l'oiseau nous aura valu quelques belles idées, comme lorsque Billy déclare qu'il ne cherche pas à apprivoiser l'oiseau, juste "le faire voler". Parallèle, bien sûr, avec le système éducatif qui nous a été montré. Un système qui, au lieu d'essayer d'apprivoiser les élèves, devrait se fixer pour but de "les faire voler", point. En exposant sa méthode à la classe, c'est une véritable leçon de pédagogie qu'inflige le garçon à toute l'institution scolaire : bienveillance, patience, écoute, tout ce qui manque au système éducatif qui nous est montré.


Il faut signaler aussi un beau travail de raccord sur le son : à plusieurs reprises le son de la scène suivante se superpose aux images, par exemple lorsque Jud descend dans la mine et qu'on entend déjà les chants de la messe qui suit. Loach a bossé son Hitchcock !


Tout cela est vraiment bien. Ken Loach a évité la plupart des écueils que je craignais : son film est authentique en effet, et fort. A peine regretterai-je la musique extra diégétique, à chaque fois que Billy sort en forêt, assez banale et surtout inutile. L'essentiel est ailleurs : dès son deuxième film, le Ken Loach qu'on aime était déjà là. Le festival de Cannes ne s'y était pas trompé.


7,5

Jduvi
7
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le 19 janv. 2021

Critique lue 188 fois

2 j'aime

Jduvi

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