L'Au-delà
6.8
L'Au-delà

Film de Lucio Fulci (1981)

"Maintenant tu vas affronter la mer des ténèbres, et tout ce qui s'y cache."

Cette image, ça fait un petit bout de temps qu'elle revient dans mon esprit : cet aperçu de l'enfer, plaine désertique blanche comme l'os, parsemée de corps allongés que la vie a (espérons-le) quitté, envahie par la brume où se cachent les pires abominations.
On pense bien sûr au neuvième cercle de l'enfer, dans l'oeuvre éponyme de Dante, où les damnés sont emprisonnés pour l'éternité dans un lac de glace, mais aussi au désert blanc entourant cette fête foraine abandonnée du Carnaval des Âmes.


Cette image, elle vient d'une perle signée Lucio Fulci, grand nom du cinéma d'horreur, amoureux du sanglant et du provocant, et réalisateur entre autres de l'Enfer des Zombies, référence fameuse de cette frange du cinéma figurant des morts pas vraiment morts.
Je n'ai pas encore exploré le reste de sa filmographie, mais l'esprit du cadavre emmuré dans ma maisonnée me chuchote que Fulci fait ici une synthèse de toute la came qu'il a produite par le passé, au programme : enfants morts, zombies, araignées grignoteuses de visages, surnaturel à tout va et j'en passe des vertes et des pas nettes.


La perle noire qui s'en vient débute durant les années 20 par le lynchage et la mise à mort d'un artiste probablement sorcier à ses heures perdues, répondant au doux nom de Schweick, qui a osé représenter l'enfer en peinture, défiant par là Dieu et les bonnes moeurs, écho de Fulci lui-même, qui fut souvent censuré à cause de la violence extrême de son oeuvre, mais aussi du sorcier Joseph Curwen, dans l'Affaire Charles Dexter Ward, son crucifiement sur le mur du sous-sol fait même de Schweick une figure christique.
L'influence de Lovecraft, le nerd de Providence, ne s'arrête pas là, est aussi présent le Livre d'Eibon, ouvrage surnaturel contenant les secrets de ce qui existe par-delà le réel, se faisant l'héritier de cette longue tradition au sein de l'horreur cosmique qui consiste à mettre des livres maléfiques à la pelle. On pense bien sûr au Necronomicon, mais aussi à son premier représentant, aussi nommé Livre d'Eibon, qui apparaît dans la nouvelle Ubbo-Sathla (1933), de Clark Ashton-Smith (dont j'ai d'ailleurs critiqué l'un des bouquins ici), ou à d'autres comme De Vermis Mysteriis, dans le Tueur Stellaire (1935), de Robert Bloch.


50 ans après son assassinat d'une rare brutalité, où son visage fut anéanti, une femme emménage dans l'hôtel où il a été tué, elle n'aurait pas dû, car il fut bâti sur l'une des sept portes de l'Enfer.
A partir de là, les pires abominations vont se déchaîner, et les nombreux personnages vont se faire décimer les uns après les autres dans des scènes d'une sacrée brutalité, et qui foutent bien la pétoche, en se faisant d-é-f-o-n-c-e-r le visage au passage (mention spéciale à la mygale qui tire sur l'oeil d'un gars jusqu'à l'arracher, ça c'était bien bien dégueu).


L'Au-delà est viscéral, et sanglant, et lovecraftien, et très atmosphérique, et sombre, et empreint d'une poésie ténébreuse. La puissance évocatrice de ces éléments est renforcée par le manque total et absolu de cohérence narrative, de liant entre les scènes, qui semblent s'enchaîner de manière confuse, et de réelle profondeur chez les personnages, cette confusion et cette aryhtmie sont voulues par Fulci, grand amoureux du jazz, qui veut ici récréer l'ambiance d'un cauchemar dans tout ce qu'il a de sans queue ni tête.
Il n'en a pas grand-chose à faire du scénario, des personnages, ou d'une réalité cartésienne, ce qui importe pour lui, c'est l'image, l'image qui frappe la rétine et l'esprit, l'image qui met des jours à être digérée.


Bien sûr, Fulci s'est inspiré de Suspiria et Inferno, de Dario Argento, dans son histoire (coucou le coup du bâtiment qui abrite un noir secret, ou celui de l'aveugle tué par son propre doggo) comme dans son esthétique, mais surtout par le Carnaval des Âmes (mais si, vous vous souvenez, l'oeuvre que j'ai brièvement cité plus haut, et qui est d'ailleurs disponible sur Youtube), oeuvre sur pellicule fantastique sorti en 1962 et racontant l'histoire d'une femme réchappant à un accident de voiture,à qui il arrive des trucs pas très catholiques.
En plus du désert blanc, Fulci en tire la rencontre surnaturelle sur la route, lieu symbolisant le passage vers l'autre monde, l'être surnaturel qui vient harceler les protagonistes de manière récurrente, le coup de la créature qui se cache juste sous l'eau, etc...Notez également que ce film a beaucoup inspiré David Lynch.


A la fin, le cauchemar ne se termine pas, l'héroïne étant égarée à tout jamais dans cette dimension infernale où les chuchotis des damnés résonneront pour les siècles des siècles.
Chez Fulci, l'Au-delà existe, mais c'est un Au-delà où Dieu brille par son absence.

Créée

le 15 janv. 2020

Critique lue 480 fois

12 j'aime

7 commentaires

Critique lue 480 fois

12
7

D'autres avis sur L'Au-delà

L'Au-delà
Tonton_Paso
9

Critique de L'Au-delà par Tonton_Paso

Considéré comme le chef-d'œuvre de Fulci, L'Au-delà peut déconcerter : sorte de remake déconstruit de Frayeurs — c'est peu ou prou la même histoire —, le film semble avancer au rythme de scènes gores...

le 11 juil. 2010

23 j'aime

L'Au-delà
oso
7

Taquinerie de maçon farceur

S'il y a une chose que l'on ne peut enlever à Fulci et qui caractérise l'ensemble de son oeuvre, c'est bien son incroyable sens de l'esthétisme. L'au-delà en est un exemple tout désigné, véritable...

Par

le 11 sept. 2014

21 j'aime

2

L'Au-delà
Jibest
5

Au-delà d'un scénario

Il fut un temps ou je ne regardais que des Hitchcock. Pas parce que j'aimais, mais parce que je voulais aimer tellement car les critiques hurlaient au génie. Je ne voulais pas passer pour un débile...

le 30 août 2012

18 j'aime

14

Du même critique

A Touch of Zen
BaleineDesSables
9

Au bord de l'eau.

Le fait que l'adaptation taïwanienne signée King Hu de La Fille Héroïque, l'un des contes du Liaozhai Zhiyi (ou Contes Extraordinaires du Pavillon du Loisir), recueil d'histoires surnaturelles rédigé...

le 8 janv. 2020

25 j'aime

8

Phantasm
BaleineDesSables
8

"You play a good game, boy. But the game is finished, NOW YOU DIE !!!"

Le cinéma d'horreur américain est riche en croquemitaines : Michael Myers, Chucky, Jason... La liste est longue et nombre d'entre eux sont connus du grand public, mais il ne faut pas oublier l'un...

le 1 janv. 2020

20 j'aime

8