Et la lumière fut.

Un jeune des banlieues, Krimo, va tenter de jouer dans une pièce de théatre pour se rapprocher d'une camarade de classe dont il est amoureux.

Autant mettre les cartes sur la table ; je suis complètement passé à côté du film la première fois que je l'ai vu, fin 2004. Je trouvais ça vulgaire, long, chiant... au point d'en avoir un rejet quasi-viscéral. Le temps passant, j'ai pu voir à ce jour la totalité de la filmographie d'Abdellatif Kechiche, et c'est un sans-faute absolu, La vie d'Adèle et Mektoub my love sont deux films dont je me souviendrais pour toujours. Donc, je me suis dit que c'est pas possible que je sois passé à côté de L'esquive, ajouté à cela des fans qui voulaient me casser la gueule à la récré pour en avoir dit du mal. Bon, j'exagère un peu pour la dernière raison, mais j'ai voulu lui donner à nouveau sa chance, et c'est une nouvelle vision majuscule, car je trouve ça très beau, fort, assez éloigné dans le fond de ce que fera Kechiche, mais si proche en même temps.

Il filme cette fois-ci en caméra DV, ce qui donne cette image assez laide, non pas un état de la banlieue, mais comment s'en sortir par les arts au nom de l'amour, dans le cas de Krimo. Ado défavorisé, dont le père est en prison, mais qui voit dans pièce de Marivaux l'occasion de se rapprocher de Lydia, sublimement incarnée par Sara Forrestier, révélation majeure. Mais c'est aussi l'occasion de filmer l'entourage du garçon et de la fille, les premiers disant que Krimo fait un truc de pédés (dixit) et les copines qui sont autour de Lydia parce qu'elle ne sait pas si elle doit sortir avec Krimo, qui va se déclarer. On retrouve là aussi ces scènes étirées à l'envi, qui procurent parfois un malaise, parce qu'on sent le personnage en difficulté, à l'image de la répétition de Krimo et Lydia, où le premier est poussé par la prof à se dépasser, alors qu'il est timide, introverti, et ne veut jouer que pour se rapprocher de la jeune fille, qui est son inverse total. Parmi les autres acteurs, il y a aussi l'excellente Sabrina Ouazani, qui ne semble parler que par jurons. Ce que je prenais là aussi pour un défaut la première vision est en fait une sorte de force mentale qu'elle et les autres personnages déploient pour se défendre, car ils n'ont que des insultes à se répondre entre eux, sans qu'ils ne se battent.
Sauf une scène, la plus forte à mes yeux, où le meilleur pote de Krimo vient agresser Sabrina Ouazani pour pousser Lydia à sortir avec lui, car il le voit mal en point. C'est un moment assez dure, violent, mais bouleversant, car celle qu'on prenait pour un roc s'effrite peu à peu, et va finalement demander de l'aide à ses copines qu'elle insulte pourtant copieusement.

D'une certaine façon, la passivité de Krimo m'a renvoyé à une version adulte qui pourrait être Amin, le personnage principal de Mektoub my love dans le sens où le monde s'agite autour de lui alors qu'il ne fait pas grande, ou plutôt, ses réserves l'empêchent de vouloir faire ce qu'il a envie.
On pourrait voir dans Entre les murs, sorti en 2008, un prolongement de L'esquive dans le sens où là aussi, les arts sont comme une défense pour ces jeunes en difficulté, qui ne comprennent pas forcément Marivaux, mais qui sont comme une seule personne lors de la dernière partie, consacrée à la représentation.
Je persiste et signe ; Abdellatif Kechiche est sans nul doute le meilleur cinéaste français qui soit apparu depuis le début du XXIe siècle, un sans-faute, et putain ce que j'ai envie de voir la suite de Mektoub my love !