Un soleil de plomb
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le 17 oct. 2025
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J'ai lu L'Etranger il y a bien longtemps. Dévoré, devrais-je dire. J'ai dû le faire, genre, en deux jours. Et j'en ai gardé un merveilleux souvenir.
Je n'ai pas eu envie de relire L'Etranger avant d'aller voir son adaptation par François Ozon au cinéma. Parce que je n'avais pas envie de jouer au jeu des sept erreurs. Je voulais plutôt juger de la pertinence de l'oeuvre face à mon ressenti et face à ce que le livre avait réussi à imprimer dans ma mémoire.
Et de vous dire que j'ai retrouvé exactement mon plaisir de lecture. Et sur ce plan, Ozon a réussi son pari. Parce que la plupart du temps, je me suis dit que c'était exactement ça, en moi, tout comme l'image que je m'étais forgée de ce que j'avais lu.
François Ozon et Benjamin Voisin restituent avec exactitude ce personnage de peu de mots, taciturne, indifférent. Une coquille vide. Un véritable vaisseau fantôme qui traverse l'océan de la vie sans but et sans sens, lointain cousin de la Marine Vacth de Jeune et Jolie.
Ils y arrivent via le regard détaché de Meursault, fermé à l'émotion qui devrait l'assaillir. Fermé à ce que les autres lui renvoient. Son silence, ils réussissent à ne jamais le parasiter en délaissant le principe de la voix off, qui aurait été l'évidence même, s'agissant d'un des cas les plus classiques de personnage-narrateur de la littérature et du flot de pensées et de réflexions qui constituaient l'ossature du roman.
Mais L'Etranger emporte aussi l'adhésion dès lors qu'il parvient à encapsuler le vertige, la fièvre, l'incertitude, l'abandon, la saturation des sens de Meursault. Avec sa vision qui se floute et la chaleur algérienne un peu plus pesante encore via ces blancs intenses qui semblent brûler l'image, comme un mirage, et tremper les corps érotisés de sueur.
Il sera aussi amusant de voir ce que Ozon fait cette fois-ci de la partie "procès" de son dernier effort, en gardant en mémoire ce qu'il avait livré avec Mon Crime. Comme s'il voulait soudain se départir de son pastiche, de sa malice et de sa douce folie animant ses adaptation théâtrales.
Il n'y aura peut être que le passage avec l'aumônier qui pourra lever certaines réserves, dès lors qu'elle ne semble plus trop cadrer avec le personnage dessiné jusqu'ici par le réalisateur. Ou encore cette dernière ligne droite s'inscrivant dans une volonté plus explicite.
François Ozon réussit même à désamorcer quelques attentes, comme celle des premiers mots du films, qui ne sont pas les trop connus "Aujourd'hui, maman est morte", mais "J'ai tué un arabe". Occasion de se rappeler ce dont je ne me souvenais pas. L'étranger, ce n'est pas seulement ce personnage pour lequel la vie n'a pas de sens, et y est donc étranger. C'est aussi cette victime invisibilisée, rabaissée, avec, en parallèle, la recontextualisation d'un pays colonisé contaminé par le racisme et la discrimination ordinaires.
L'Etranger revisité, malgré un ou deux légers accrocs, c'est une proposition épurée, entêtante qui a relevé le pari de coller à mes souvenirs de lecture et des images que j'en avais conservées. Et si l'oeuvre pourra paraître aux yeux de certains un peu trop scolaire, elle est animée par une sorte de noir magnétisme de son personnage principal et l'étrange attraction pour vide qu'il nourrit.
Behind_the_Mask, ♪ Pas une larme dans ses yeux. ♫
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hier
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