Il est toujours intéressant de voir un acteur endosser un rôle à contre-emploi.
Il en va ici de Fabrice Luchini, dont le talent ne fait plus guère de doute mais qu'on a davantage l'habitude de croiser sur les plateaux télé drapé dans son exubérance littéraire et ses cabotinages politico-sociétaux plutôt que lové dans la pudeur et la réserve. Dans l'Hermine, Christian Vincent lui propose, dans un double mouvement, de se dévêtir de ses extravagants (et parfois artificiels) oripeaux, pour enfiler le hiératique costume d'un président de cour d'assises - rôle dans lequel je pense qu'on ne l'attendait pas....et qui lui va à merveille.


Luchini entre donc avec ce film, pour moi, dans la cour des très grands acteurs capables de jouer tous les rôles, aussi à l'aise dans une comédie sans prétention, un film intello, un drame social - ou ici au sein de cette fausse chronique judiciaire et sentimentale au traitement pudique et réaliste.


L'acteur porte entièrement le film, mais il ne serait pas honnête d'en oublier celle qui partage l'affiche avec lui et qui éclaire ces 1h33 de sa beauté, sa grâce et sa douceur : l'actrice danoise bien connue des amateurs de Borgen, Sidse Babett Knudsen.


Malgré ces excellents éléments, il demeure que l'ensemble me paraît trop inégal, trop ébauché - parfois trop cliché (le Nord-Pas-de-Calais et ses cas sociaux, qui pittoresques et gouailleurs, qui mutiques et demeurés) : je suis globalement restée sur ma faim.


Les personnages secondaires sont peu exploités (et pourtant, figure quand même au casting l'excellente Corinne Masiero), certains échanges paraissent vains ou gratuits (la jeune femme arabe et son voile, son mari jaloux et la dispute qui éclate entre les jurés au café), l'intrigue judiciaire se termine en eau de boudin sans que nous puissions en connaître le fin mot, on voit des avocats récuser des jurés à tour de bras sans qu'on comprenne pourquoi : trop de propositions, pas assez de rigueur ou de richesse dans leur exploitation.


Alors, bien sûr, il s'agit là sans doute pour le réalisateur de saisir des instants de vie qui s'esquissent sur quelques jours, sans début ni fin, et qui ouvrent à toutes les interprétations et imaginations, mais je trouve le procédé un peu facile et assez frustrant pour le spectateur, qui ne saisit pas trop le message que veut lui passer ce film, à quel genre finalement il appartient, aussi.


J'aurais voulu un peu plus de tête-à-tête entre le revêche Michel Racine et son coup de coeur scandinave, j'aurais voulu le voir s'approcher un peu plus avec cette timidité ravageuse, ce désir contenu, ces sentiments qu'il ne parvient pas à cacher J'aurais voulu la voir, elle, vaciller face à lui, en dire un peu plus sur les ressentis qu'elle n'admet pas encore.


La scène de fin est toutefois particulièrement belle et réussie, tout comme la chanson de Claire Denamur qui file l'ensemble du film et que j'ai véritablement adorée.


Je garderai donc ça, en oubliant les manquements et les pistes non suivies - les yeux plutôt rivés sur les moments simples et pudiques de la tendresse humaine.

BrunePlatine
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le 27 mars 2016

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