La problématique du point de vue dans le cinéma français

Donner un avis sur L'Hermine, c'est révéler ce que l'on pense, par ricochet, de tout un pan du cinéma français actuel. Car L'Hermine, la critique lui caresse le poil dans le bon sens depuis un moment déjà, en l'érigeant en petit succès de cette fin d'année, aussi intelligent que sensible.


C'est d'ailleurs pour cela que je me suis laissé tenter. Car malgré les apparences, un grand sensible se cache derrière le masque ensanglanté. Cet amour sur lequel on a posé un léger voile de souvenir, mais qui est toujours vivace, cet amour qui évolue dans un tout petit coin de son coeur, tout cela me parlait. Tout comme cette attirance qui n'a jamais réussi à passer le cap des lèvres qui forment les mots. Des mots restés au fond de la gorge nouée par l'appréhension.


Je me dis que j'ai mal compris ou que je me suis fait des idées. Mais je relis les quelques lignes du synopsis et je me rends compte que ce n'est pas ce que j'ai retrouvé à l'écran. Car cette Hermine au poil si doux est un curieux mélange. Il y a bien cette romance ébauchée, mais elle n'exalte jamais ce qui l'anime et a des difficultés à m'emmener avec elle. Parce qu'elle tient sur un ticket de métro et n'a pas grand chose à dire. Pourtant, il y avait de quoi faire avec ce personnage principal bougon. Mais celui-ci n'est défini que par son travail alors que beaucoup d'autres aspects de sa vie privée sont laissés dans l'ombre alors qu'ils auraient mérité d'être traités.


Ce que l'on ne vous dit pas, c'est que L'Hermine enchasse ce qui est présenté comme le coeur de son scénario dans une chronique judiciaire assez inaboutie qui enchaîne les mauvais points et les crispations. Tout d'abord parce qu'il s'agit d'une affaire de mort d'une fillette au sein de sa famille. Et que ce genre de faits divers tragiques ne peut QUE se passer dans le terreau de la précarité des petites gens du Nord / Pas-de-Calais, comme d'habitude. Cette véritable tarte à la crème de poncifs, d'accents improbables et de visages d'une indigence outrée peut énerver, tant cela est désormais systématique dans le cinéma français ces derniers temps. Est ce la seule image que la critique parisienne se fait de cette région ?


Cette chronique judiciaire prendra de plus en plus de place dans un film dont il n'est censé être que son décor. La plongée dans le système et les coulisses des assises est d'ailleurs assez intéressante et pas mal retranscrite. Jusqu'à ce que l'on se rende compte que Christian Vincent, bah, il n'en a pas grand chose à faire, de cet aspect de son film. On croirait même qu'il la tourne en ridicule au détour de certaines scènes faisant évoluer des branquignols en guise d'experts, des flics littéraires (Vincent n'a jamais dû lire un rapport de police de sa vie) ou des avocats sortis d'un film américain tout en effets de manches et de grandiloquance. Tout cela est presque digne d'une parodie. Manque de bol, ce n'est pas pour voir cela que j'ai payé ma place. Et d'ailleurs, on ne saura jamais qui l'a tuée, au final, cette pauvre gamine. Mais Vincent pense avoir réussi son coup : étaler du prémâché de la pensée en guise de décor et avoir parlé de son histoire d'amour faussement ouverte dans son dénouement.


L'Hermine est symptômatique d'un gros problème de point de vue au sein d'un certain cinéma français, d'une certaine difficulté à choisir la longueur de ses focales scénaristiques. Car on se retrouve avec un décor, un arrière-plan judiciaire, qui fait de l'ombre à ce qui semble être le coeur de l'envie de cinéma de Christian Vincent, qui court après deux lièvres sans en attraper un seul. Mais le pire, c'est que le réalisateur, qui a normalement choisi son sujet et vend son film sur celui-ci, ne traite ce dernier que de manière détachée et fort parcellaire. Au point qu'il semble ne plus avoir grand chose à dire après ce rendez-vous dans le restaurant, en marge du procès. Si ce n'est qu'on se rend compte, finalement, que le personnage de Fabrice Luchini, parfois en surjeu, a bâti son attirance sur un film qu'il se faisait.


Il aura beau nous mettre sous notre nez la beauté mature de Sidse Babett Knudsen, rien n'y fait. Le sentiment d'occasion manquée ne quittera pas le spectateur. Car même si L'Hermine ne l'ennuie pas, elle recèle pour lui beaucoup trop d'occasions de soupirer, de s'affliger ou encore de se dire que les problèmes de focales scénaristiques sont décidément récurrents dans le cinéma français. Pourtant, un boulevard était offert, avec ces premières images mettant en scène deux chroniqueurs judiciaires, au final inutile, qui croquent les protagonistes de temps à autres pendant le film. Quel meilleur point d'entrée pour un tel film si on avait creusé un peu cette voie ?


Behind_the_Mask, juge, juré... Bourreau ?

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le 5 déc. 2015

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