Critique à 4 mains : Camille met ses Lunette(s).

Quand Woody rencontre Jill


*L'homme irrationnel*, c'est Joaquin Phoenix alias Abe Lucas qui rencontre Emma Stone soit Jill. Il est un professeur de philosophie mélancolique, elle est une brillante étudiante un peu libertine. C'est l'histoire d'un raté dépressif qui rencontre la muse de Woody Allen dans une romance intello et nombriliste de plus, un film de genre  mené par des personnages stéréotypés. Lunette ne parlerait que de Joaquin Phoenix si elle devait écrire seule. C'est selon elle le seul intérêt du film. Camille n'est pas tout à fait d'accord, parce qu'elle a l'âme en vogue, elle n'a vu que de la philosophie. 

Platitude rpz


Elles sont d'accord : ce film n'a aucun intérêt esthétique. L'image n'a pas vraiment de profondeur, « tout est plat » dirait Lunette. Pour cette raison, elle est restée hermétique à cette rengaine romantique, déjà vue mille fois au cinéma, « du bla-bla » pour rien, pense Lunette. Camille remarque quelques plans au coucher du soleil, au bord de l'eau,  du vermeil, au coucher du soleil, au bord de l'eau, dans la contemplation, au calme, pour une bouffée d'air frais, une parenthèse. Lunette justement trouve que cette lumière a déjà été vue et revue chez Woody Allen, en tout cas dans ses derniers films, selon Camille plus philosophiques, selon Lunette pas forcément. Woody Allen  use dans ce film abusivement de gros plans, plats, qui resserrent le champ,  « on dirait de la série B » dit Camille, qui approuve : on a encore affaire à l'une de ces comédies romantiques grand public, conventionnelles. « On le voit partout, Woody montre comme dans ces séries, ce film pourrait être un téléfilm ! ». Lunette remarque un plan, sur le visage de son idole qui marche, il porte trop de maquillage, ses cernes sont trop rouges, son expression peu réaliste. Woddy Allen hyperbole, pensent-elles, il exagère, et cela ne fonctionne pas, ou plus. Il ne nous surprend pas.  Le montage est peut-être maladroit, selon Camille Woody ne se foule pas trop. Elle n'a rien contre le monteur mais bon, lorsqu'il coupe un baiser passionné devant le concerto pour violoncelle de Bach dans un cadre prestigieux, pour montrer Joaquin Phoenix qui mange son sandwich tout seul dans son salon.. « bon, ça va on a compris quoi » se dit-elle. Non, Woody Allen ne renouvelle pas son style, il en abuse, L'homme irrationnel est selon Camille la preuve d'un aboutissement, celui d'un cinéma populaire, du grand Woody Allen qui ne rajeunit pas. « C'est du Woody Allen qui vieillit », dit Lunette : « l'innovation n'est plus sa priorité. ». « Il nous réchauffe sa soupe », dit Camille. 

Qu'est-ce qu'on se marre (rires)


C'est un film pour personnes âgées, pense-t-elle. «Ce n'était pas drôle, et pourtant les gens riaient. », dit Lunette. « Ces deux là à côté je les aurai frappés », dit Camille. « Que de violence » dit Lunette. « Woody n'en a que pour les beaux yeux d'Emma Stone, qui est jolie c'est vrai, mais c'est une minette.  Il aurait fallu faire la différence entre une robe et une tunique... C'est pour les papis dans la salle », pense Camille, « c'est pour ces petits pervers, dont Woody Allen, qui est tout de même un peu obsédé par le sexe, et ce depuis toujours », dit Lunette. Woody Allen n'a pas exploité la complexité du personnage d'Abe, qui est peut-être trop misanthrope . Woody Allen se replie sur son personnage féminin qui apporte un peu d'humanité dans ce drame Faustien. » Lunette approuve ; elles sont d'accord, le problème c'était ce personnage, cet homme peut être trop égocentré ; peut-être aussi trop solitaire tout simplement.  

American Idole


Vient pourtant l'éloge de Joaquin Phœnix convenu. « Il a une gestuelle, une présence, qui donne au film sa profondeur », dit Lunette. « Il a un certain charisme, qui distingue Abe Lucas des autres personnages, Joaquin Phœnix lui apporte un peu de consistance, bien qu'il ait cette gestuelle hyperbolique propre aux personnages de Woody Allen. » « Ces personnages sont toujours dans l'exaltation, ils en font trop, et surtout, ils parlent beaucoup », dit Lunette. « Il s'agit d'épancher des sentiments dans le champ », remarque Camille qui ne sait pas parler simplement. « Woody Allen traque l'intériorité, donc met en scène des personnages expansifs » ajoute-t-elle. 

Silence, on tourne! (en rond)


Mais comment les met-il en scène ? Woody Allen devient fainéant, pense Camille : il se contente de la théâtralité de ces petits bourgeois qui évoluent en province (d'ailleurs, les films de Woody Allen New-Yorkais nous manquent). « Ce film est un cliché de son cinéma, on n'y trouve absolument aucune innovation stylistique », pense Lunette. La forme est primordiale pour elle, prime le plus souvent sur le fond. Pour Camille il s'agit de s'intéresser à la manière dont le message est reçu par rapport à la manière dont il est conçu ; ne s'agit pas de se focaliser sur un message mais bien de s'interroger sur des possibilités, à propos de la structure film en tant que médium. « Fond et forme comme lien étroit, indissociable l'un de l'autre. », pense Lunette. Dans ce film, la caméra est spectatrice, mais de quoi ? *L'homme irrationnel* est-il un film contemplatif ? Non, le rôle de la caméra est simplement technique, utilitaire ; elle n'entre pas en jeu dans la mise en scène, pense Lunette. Camille souhaite parler philosophie. 

Sans titre


*L'homme irrationnel* nous pose des questions, s'interroge sur notre rapport aux stéréotypes, à la morale. Le seul problème c'est qu'au fond le sujet a déjà été abordé avec Match Point : qu'est-ce qui justifie le meurtre ? Peut-on tuer pour se sauver la vie ? Lunette ne sait pas si l'histoire était la mieux choisie pour traiter le sujet. « Gros, absurde, peu crédible. Woody Allen met les pieds dans le plat et marche avec ses gros sabots », remarque-t-elle. Le rocambolesque, l'absurde des situations n'a pas d'effet sur le public. C'est raté. Elles sont d'accord : Woody Allen s'enfonce lui-même, comme pris dans des sables mouvants. Pour Camille, ce film matérialise ce qu'un Papi Woody voit assis sur un banc dans un parc, qui réfléchit au sens de la vie. Sur ce même banc reprend Lunette nous avons Joaquin Phœnix et le petit vieux qu'il épie. 

En d'autres termes...


Outre tous ces aspects relatifs à l'imaginaire de Woody Allen, il s'agit selon Camille de savoir quelle est la révélation spirituelle à l'origine de ce film. Lorsque Joaquin Phœnix avoue 

à Emma Stone qu'il a commis un meurtre


(ça fait moche mais c'est rigolo)
Woody Allen met en scène l'absurdité de leurs réactions respectives, conventionnelles à outrance, étalage d'idées toutes faites. En les tournant au ridicule, il pointe du doigt les questions qu'il s'agit peut-être de se poser : quelle doit être la place de nos principes moraux dans nos jugements, sur quoi les relations saines se fondent-elles ? Qu'est-ce qui est juste, qu'est-ce qui est injuste, qu'est-ce que le mal ? Lunette n'avait pas vu tout ce que Camille vient d'écrire. Elle trouve que ces questions sont intéressantes, mais que Woody Allen ne les aborde pas de la meilleure manière qu'il soit, qu'il n'a pas suffisamment exploité ces gisements de questions philosophiques, qu'il est resté simplement en surface. Camille approuve. Woody fatigue. Il n'a pas su nous surprendre. On le connaît bien, trop bien. Son cinéma devient stéréotype. C'est à la fois la preuve d'une réussite, mais aussi le témoin d'un abandon, celui d'un art, le sien, devenu populaire. C'est le comble des grands cinéastes, de ceux qui sont devenus des clichés, ceux du cinéma qu'ils ont inventé.(Scorsese, Eastwood peut-être, dit Lunette. Camille réfléchit.)


De l'éducation


*L'homme irrationnel* est un discours sur l'éducation morale et son influence dans nos comportements sociaux, c'est le récit d'un cheminement philosophique qui mène un homme qui se traîne vers la délivrance, qui se rend simplement compte qu'il n'a qu'une vie, qui arrête de la rêver et en goûte les plaisirs en y prenant goût selon Camille. Elle est d'accord avec Lunette qui rappelle que Woody n'a pas creusé le sujet, qu'il nous livre un film superficiel. Camille dirait même un cliché sur papier glacé. Mais elle dit aussi que ces questions sont dans sa tête depuis qu'elle n'est plus dans la salle. Le temps était passé plutôt vite pour elle. Qu'en pense Lunette ? Lunette a décroché quelque peu. Camille aussi, mais Camille est bon public. « C'était cliché, et lourd. Je me suis contentée de regarder, de traquer les défauts visuels. » Dit Lunette. «J'ai préféré plonger dans un débat métaphysique plutôt que de m'ennuyer.» Dit Camille. Woody fait ici l'unanimité, finalement. 

Schizophrénie


Cette critique n'est pas objective, elle n'est pas non plus académique ni absolument génialissime. Elle est cependant le fruit d'une rencontre, celle de deux manières de voir un film et de concevoir un rapport au cinéma. Elle est un document unique, un fait historique et contingent. Son être n'était pas nécessaire mais son unicité prouve celle de deux esprits, elle est un dialogue qui se matérialise à quatre mains dans l'espace cybernétique, elle est tout simplement binaire, symbiose.
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le 17 oct. 2015

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Lunette

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