Il est toujours plus passionnant de se concentrer sur les ratés que les réussites. Stéphane Demoustier l’a ici bien compris.
Pour cela, il relate cette histoire méconnue d’un destin ignoré à propos d’un monument mal-aimé ; comme l’impression que cette Grande Arche laisse beaucoup de monde indifférent au contraire de la grande pyramide du Louvre dont on entrevoit la construction durant le film (peut-être que son destin aurait été différent si l’on avait suivi la vision sans compromis de son architecte).
Finalement cette histoire d’artiste exigeant peut s’appliquer à pleins d’autres milieux (le cinéma notamment) pour ainsi parler au plus grand monde : jusqu’où est-on prêt à faire des concessions dans sa vie et ses idéaux pour mener à bien ses projets ? D’ailleurs, en interview Xavier Dolan, qui joue ici, dit que cela fait écho à sa carrière de réalisateur en partie contrariée.
Pour autant le comportement de Otto von Spreckelsen, s’il est compréhensible et suscite l’empathie est loin d’être idéalisé par le réalisateur : à la limite de l’autisme artistique, il est en partie l’artisan de sa chute, refusant de voir les menaces et de comprendre les codes du monde qui l’entoure (excellents scènes « politiques » : des aspirations artistiques de Mitterrand à la gueule de bois de la cohabitation faisant écho à notre situation politique actuelle). A ce titre, les deux autres principaux personnages (Jean-Louis Subilon/Dolan et Paul Andreu/Arlaud) sont également très cohérents et respectables dans leurs positionnements et actions.
Il convient d’ailleurs de loueur la qualité du quinté d’acteurs tous très inspirés : Claes Bang, Sidse Babett Knudsen, Swann Arlaud, Xavier Dolan une nouvelle fois surprenant après « Illusions perdues » et Michel Fau, pas ressemblant du tout à Mitterrand mais au final très crédible dans sa stature de chef d’état curieux et érudit. Ils sont bien servis par des dialogues savoureux et un scénario très bien ficelé ; bien plus court et efficace qu’un « The Brutalist » avec lequel il serait tenant de le rapprocher (scène de la carrière de marbre en Italie). On peut éventuellement reprocher une fin légèrement précipitée
(avec ce malaise/mort d'Otto, un poil symbolique/appuyé, devant la Grande Arche dont la construction lui a échappée).
« L’Inconnu de la Grande Arche » a tout du film populaire (même si le box-office ne semble pas aller dans ce sens) à la fois divertissant et exigeant (mise en scène sobre avec son format 4/3 proche du fameux cube) sachant entremêler tragique et « comique » (quelques moments très drôles) ainsi que la grande et la petite Histoire.