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À l’époque où se situe « L’Inconnu de la Grande Arche », je réside dans les Hauts-de-Seine. Au début, môme, maman nous emmène ma sœur et moi au salon de l’Enfance chaque année ; puis au salon Nautique où ils m’achètent une planche-à-voile. Puis étudiante, je travaille aux 4 Temps le week-end, et au CNIT.

Plus tard, lorsque je suis nommée Dircom’ de la Poste des Hauts-de-Seine, je suis très souvent dans le quartier d’affaires de la Défense ; j’accompagne notamment le projet de modernisation du centre Courrier de la Grande Arche, sous… la Grande Arche, équipé des premières machines de tri de haute technologie ; on y shoote aussi les campagnes des nouvelles tenues de facteurs Armor Lux ; on y teste les nouveaux vélos électriques.

Le film m’a carrément remis en tête les chiffres clés de ce quartier d’affaires de La Défense, du début du XXIe siècle, ces chiffres qui composaient nos argumentaires de valorisation des projets postaux : 36 communes, une population de 1.430.000 habitants, soit 13% de la population francilienne dont 726.000 actifs ; 1500 entreprises ; 5.000 postiers, un CA global de 580 M€, Courrier, Colis et Services financiers.Au CNIT de la Grande Arche, il m’arrive aussi d’organiser des événements institutionnels ou d’être invitée à des salons professionnels.


Pendant toutes ces années, entre 1978 et 2005, la Grande Arche me laisse une drôle de sensation, d’étouffement, de vertige, d'incomplétude. Si je n’ignore pas qu’elle se situe dans l’exacte perspective de l’Arc de Triomphe, je ne sais rien de son histoire et vingt ans plus tard, ce film me la révèle avec stupeur et effroi.


D'emblée, lorsque Johan Otto Von Spreckelsen, l’architecte réhabilité par Stéphane Demoustier commence à présenter son projet, « l’œuvre de sa vie » et la pierre angulaire de son œuvre, j’essaie de faire fonctionner ma mémoire. De quoi parle-t-il : quels nuages flottants suspendus ? Quels petits cubes à côté du grand cube ? Et d’ailleurs, pourquoi n’a-t-on jamais parlé de Cube mais d’Arche ? Marbre de Carrare ? Parois vitrées lisses ?


Et pour cause : rien, de son projet, n’a été réalisé.

L’homme en est mort ; il a tout perdu avant d’être enterré dans le carré des indigents.


Ce projet est validé pour satisfaire les ambitions d’un François Mitterrand qui espère conquérir un second mandat présidentiel et inaugurer cette Arche grandiloquente lors des cérémonies du bicentenaire de la Révolution. Le projet, comme souvent dans ce genre de contextes, n’est qu’un alibi. Il ne représente aucune âme artistique.


Johan Otto Von Spreckelsen, 53 ans, danois, lui, ne considère pas les choses à cette aune. Il est architecte et son Cube porte une ambition humaniste : il entend relier.


Après « The Brutalist », « L’Inconnu de la Grande Arche » nous entraîne dans les méandres d’un projet architectural hors norme. L’un est financé par le mécénat, l’autre par les fonds publics dont le film retrace parfaitement l’absence de considération, de contrôle et de justification. Les fonds publics se mettent au service du pouvoir personnel et de l’ego plutôt que de la chose publique et artistique. Ces longs-métrages nous entraînent tous deux en Italie, dans les carrières de marbre de Carrare, gigantesques, où le vent envahit l’espace et laisse s’engouffrer une sensation à la fois lugubre et qui subjugue. C’est hypnotique et métaphorique. Comme le pouvoir.


Les acteurs sont tous- extraordinaires, en particulier Swan Arlaud (comme d’habitude, tout en discrétion magnétique) -maître d’œuvre opérationnel et Xavier Dolan -passerelle entre le président et l’architecte, qui interprètent des rôles démoniaques, d’intrigants. En revanche Michel Fau semble complètement absent, à côté du personnage qu’il interprète, comme s’il ne parvenait pas à saisir Mitterrand, mais est-il possible de saisir cet homme qui n’a cessé de brouiller les pistes, de confondre les uns et les autres. C’est étrange si l’on y réfléchit : Mitterrand si théâtral, laisse indifférent Michel Fau, grand homme de théâtre.


La confiance, l’intégrité ne sont certes pas les valeurs principales du film. De toute façon, dans ces hautes sphères institutionnelles et bureaucratiques françaises, les valeurs n’existent pas. Sauver sa peau, louvoyer et dominer sont les seules intentions qui vaillent. Le reste est superficiel.


Johan Otto Von Spreckelsen, cet inconnu de la Grande Arche, l’apprend à ses dépens, il n’y résistera pas : la nuance, pactiser, vendre son âme, il sait pas.


Le film est parfois si radical qu’il oscille vers le caricatural pourtant, rien de satirique dans ces portraits brossés avec brio et sans complaisance par Stéphane Demoustier.


Beaucoup d’amertume, en fin de compte, car ce dont il est question au fond, c’est de la grandeur, du prestige et du rayonnement de la France, qui s’effrite, probablement depuis ces années mitterrandiennes. La politique ne peut plus s’exercer de la manière qui est décrite ici, cette manière de gouverner est aussi démodée que les cravates Ted Lapidus qu’affiche avec ostentation et un certain panache Xavier Dolan.

Isabelle-K
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le 23 nov. 2025

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Isabelle K

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