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« Il y a des choses qu'on ne peut pas comprendre. Elles adviennent, il faut juste y croire ». Cette phrase, l'une des dernières du film, pourrait bien résumer la dernière œuvre en date de João Pedro Rodrigues, tant les rencontres que fait son protagoniste paraissent surréalistes, comme cette panthère perchée dans un arbre, la girafe ou encore le rhinocéros tout près, animaux empaillés dont nous percevons tout de même les cris. À l'image du film, cette scène qui tient plus d'une logique onirique n'est pourtant qu'une étape du voyage de Fernando. Après s'être échoué à cause des rapides dans lesquels sa barque s'est prise, et recueillis par des pèlerines chinoises en direction de Compostelle, le personnage, venu au départ observé les oiseaux, se verra constamment détourné de son chemin. Au départ pensé comme un western, contant les aventures d'un homme seul dans la nature qui devra faire face aux animaux et aux indiens, le métrage pourrait nous faire penser à The Revenant d'Iñárritu. Bien que le métrage de Rodrigues soit plus léger que le survival hivernal, tous deux sont chargés d'une dimension mystique présente dans la majesté des lieux. Lorsque les tengu, esprits japonais qui protègent la montagne et la forêt et dont les traits empruntent tant aux oiseaux qu'aux humains, chassent le sanglier, cela rappelle l'atmosphère que donnait à voir l'indigène qui laissait le trappeur incarné par DiCaprio manger les restes d'une carcasse de bête et se reposer près du feu. De plus, les ruines que découvre Fernando font écho à la chapelle en ruine, aux murs décorés, que croise le trappeur au fil de sa quête vengeresse. 
L'intérêt du film vient de l'identité mouvante de son personnage, Fernando, par l'apparition du cinéaste lui-même devant la caméra. Si cela se fait au départ par petites touches pouvant passer inaperçues, lorsque les oiseaux rendent son regard à l'ornithologue alors devenu João, cela sera plus évident lors de la conversation avec Tomé, dont les traits changés sont cette fois en gros plan. Cela est d'autant plus vrai lorsque l'on apprend que le cinéaste lui-même a finalement doublé la voix de Paul Hamy, interprète du rôle principal, tout au long du film.
Mais Fernando l'ornithologue, c'est aussi Saint Antoine de Padoue. La vie du saint national du Portugal a en effet servie de base pour L'Ornithologue, bien qu'interprété librement. Les franciscains qu'il rencontre à la suite de la dérive de son bateau sont devenues des chinoises chrétiennes adeptes de shibari et, bien que possédant aussi la capacité de se faire comprendre des poissons, son lien privilégié avec les oiseaux n'est pas gratuit : le réalisateur étudiait la biologie avant le cinéma. Cette réappropriation du mythe passe aussi par la transgression de celui-ci, voire le blasphème. C'est ainsi que la relation sexuelle avec le berger sourd-muet devient, lorsqu'il donne son nom, l'étreinte avec l'Enfant Jésus. Ramenant à la vie un jeune homme en l'embrassant, guérissant l'aile d'un oiseau et possédant le don de comprendre toutes les langues (comme c'est le cas lors de sa rencontre avec les « amazones » parlant latin) Fernando a hérité de plusieurs traits communs de la figure mythique. Aller plus loin nous fait voir son sweat marron comme une version moderne de la bure franciscaine. Ainsi révélé à lui-même au bout d'une quête initiatique, Paul-Fernando laisse place à João-Antoine, accompagné dans le changement par Tomé, réincarnation de Jésus, ou bien, comme dans les évangiles apocryphes, frère jumeau de celui-ci.
Expérience sensorielle et organique, cette relecture de la vie du saint n'est toutefois pas la seule à apporter une dimension mystique au film. Si la moitié de barque retrouvée plantée dans le sol fait penser à un totem où s'exercerait des rituels chamaniques au pied duquel sont laissés des artefacts, en l’occurrence la carte d'identité dont les yeux sont brûlés, la forêt dans son ensemble est empreinte de cet aspect spirituel et inquiétant. Tourné en décors naturel, on retrouve un côté monumental dans l'image, acquis par la netteté de la nature à laquelle l'homme fait face. Perdant toute notion du temps au sein de ce lieu, nous pourrions le rapprocher de la forêt du Blair Witch d'Adam Wingard, dans laquelle espace et temps ne sont pas soumis aux lois physiques du réel. La dimension du film d'horreur est en effet bien présente, ne serait-ce que lorsque Fernando explore le tunnel du chemin de fer, avec la musique assourdissante, la lumière qui n'éclaire que des zones réduites, et le lent travelling effectué suggère presque une vision subjective de la caméra. De plus, les oiseaux, observateurs réguliers des péripéties de l'ornithologue, acquièrent une dimension magique et inquiétante à mesure que le film avance, comme c'est le cas lorsque le hiboux l'observe nager.
Un autre aspect intéressant du film est la charge érotique qu'il contient. Cela commence par l'une des chinoises qui suce avec insistance les parties ensanglantées de son amie, provoquant le malaise chez le spectateur. Une fois encordé, l'image s'attarde sur les parties enserrées de leur victime, qui a une forte érection, ainsi que ses fesses dans lesquelles la corde rentre alors qu'il se débat. Cela se poursuit évidemment lorsqu'il rencontre Jésus, berger buvant à même la mamelle de ses chèvres, mais également au moment où, se faisant uriner dessus pendant une certaine durée, Fernando n'a pas l'air de trouver la sensation si désagréable. Enfin, dernière scène lourde d'imagerie sexuelle est celle où, en gros plan, il caresse la plaie de Tomé comme si celle-ci était un vagin, allant jusqu'à la faire « lubrifier » à force d'y mettre les doigts. La durée de ces plans, très longs, suscite la tension sexuelle qui, loin de provoquer l'excitation du spectateur, renforce le sentiment de malaise qui s'amplifie tout au long de l’œuvre. Ce sera toutefois sur une note plus légère et pleine d'espoir que le film s'achèvera, Tomé et Antoine retrouvant, main dans la main, la civilisation, sur un fond de musique pop chantée par Antonio Variações.
Jah_skun
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le 4 mars 2017

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