La Belle au bois dormant
6.5
La Belle au bois dormant

Long-métrage d'animation de Clyde Geronimi (1959)

Adaptation d'un conte de **Charles Perrault**, *Sleeping Beauty* est un large cran au-dessous des premiers longs-métrages du maître Walt Disney, notamment à cause des piètres portraits de ménagères qu'il présente. Si j'en gardais de mon enfance un souvenir époustouflé, mon souffle se coupe là face au 


sexisme dégueulasse



qui parcoure la narration de bout en bout, réduisant les motivations de ses personnages aux aspirations béates de l'amour et du bonheur d'élever des enfants. Alors oui, il y a de très bonne choses dans ce dessin-animé, d'excellentes même, notamment dans l'animation impressionnante de certaines séquences, mais le propos laisse trop à désirer aujourd'hui pour qualifier ce classique d'indispensable, loin de là.
Au point que j'éviterai dorénavant de mettre ma petite fille – toute princesse qu'elle soit – devant.


L'animation y est heureusement en grande partie très belle. Après l'ouverture classique des productions Disney de l'époque sur un live d'or riche d'enluminures moyenâgeuse, les premières séquences se racontent en effets 3d particulièrement saisissants avec la superposition de multiples calques de celluloïd qui viennent donner 


une réelle profondeur aux décors.



La prouesse est impressionnante pour l'époque et séduit d'emblée. La séquence finale du dragon subjugue également : d'une terrible noirceur, l'angoisse est à son apogée, brûlante d'un effroyable feu grégeois qui dévore tout sur son crachin. Les mignons de la sorcière, tous plus laids les uns que les autres, apportent encore du caractère aux forces du mal qui déploient là leur emprise sur le royaume éteint, et l'on sent profondément l'inspiration – lumière verte évanescente et ensorcelante, château lugubre et délabré, jusqu'aux cornes de Maléfique – du vil Seigneur des Ténèbres de The Black Cauldron. Malheureusement, niveau graphisme, il y a aussi de nombreux aplats fades, tristes, et ces deux courtes séquences expérimentales, supposées sublimer les dons offerts par les gentilles fées, nous extirpent bien trop vite de la narration. Incongrues et sans intérêt, si elles disent les recherches que s'accorde le studio, elles dénotent bien trop par le maelstrom insipide qu'elles introduisent pour séduire.


Côté scénario, rien d'intéressant mis à part, encore une fois, cette effrayante séquence du dragon. Le récit développe sans sourciller un sexisme lamentable – je sais, le film date de 1959 – qui pare l'œuvre d'une 


atmosphère désagréablement rétrograde.



Trois fées fleuries et empotées viennent offrir chacune un don à la princesse qui vient de naître : la beauté (sic), une belle voix (re-sic), puis Maléfique apparaît, furieuse de n'avoir été conviée, et dicte sa malédiction de la quenouille et du fuseau, condamnant la jeune princesse à s'éteindre à l'aube de ses seize ans. La dernière fée, qui n'avait pas eu le loisir de formuler son don, transforme alors la mort annoncée en long sommeil centenaire. Ouaip, pas si fortiche que ça les fées... et clouées dans d'ineptes ambitions. Sans compter qu'une fois nommées gardiennes de la jeune fille, elles se transforment en ménagères obsédées par la cuisine, la couture et le ménage – où l'on retrouve ce poncif Disney des balais enchantés, clin d'œil sympathique s'il n'illustrait cette triste magie pour ménagères soumises – et se disputent allègrement sur le choix d'une couleur de robe, telles de pauvres enfants colériques, incapables donc d'élever l'âme de celle qu'elle sont censées préparer à devenir reine. Tout le métrage développe là



une piètre opinion de la femme,



le comble pour un film destiné aux jeunes filles.
La fin du film énerve également dans la suite de quiproquos en série qui la rythme, faisant alors plus penser à un minable vaudeville qu'à un doux conte de fée. Et mettant encore l'accent sur les caprices instinctifs de ses personnages sans grande éducation ni grande aspiration. Pauvre vision d'une humanité qui n'écoute que ses désirs plutôt que d'entendre les dangers qui menacent au-delà de son propre confort.
La question se pose soudain de l'œuvre originale – qu'il me va falloir relire – et de l'étrange correspondance des temps : les seize ans de la princesse ajoutés aux cent ans de sommeil nous amènent à une durée de cent seize ans, ce que dura la Guerre de Cent Ans à la période même où se déroule l'histoire. L'auteur nous raconte-t-il l'immobilisme endormi de ce conflit qui ralentit alors le progrès et l'épanouissement des peuples français et anglais ? Je ne me souviens plus ce qu'il en est réellement du conte, mais le film zappe allègrement la malédiction et, après la victoire du jeune prince sur l'immonde dragon, le baiser qui vient réveiller la belle ne semble là la sortir que d'un court somme de quelques heures...
Marquant là encore le peu de cas que les auteurs ont fait du scénario.


Métrage sexiste à outrance, *Sleeping Beauty* dénote dans la liste des grands classiques du studio. Si l'animation y est superbe dans l'ensemble, jouant avec talent de ses personnages autant que des bestioles qui y évoluent et livrant une séquence d'anthologie lors du combat ultime, malheureusement un peu courte, 


le scénario y est grotesque et dérangeant tant le propos qui s'y trace se fait inflexiblement rétrograde.



Les autres films de la firme sortis à l'époque, même autour de jeunes princesses un peu écervelées, avaient au moins le mérite de poser de sérieux enjeux dans le récit et d'y développer une tension palpable, angoissante et pesante. Ici, le message machiste derrière les personnages nous amène malheureusement à penser que la belle Aurore ferait mieux – comme nous – de continuer à dormir plutôt que de s'affliger un avenir aussi morne de pauvre ménagère comblée par les poncifs de la maîtresse de maison qui ne s'épanouit qu'à se dévouer corps et âme à sa famille, sans rêve ni ambition.

Matthieu_Marsan-Bach
5

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le 4 mars 2018

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