Neige et d’autant vaincus que par cette infamie.

Le récit sans cesse renouvelé du western tient à son traitement géographique : dans un pays qui ne semble pas encore fédéré, chaque ville est un microcosme dans lequel on ne peut compter que sur soi-même. D’où la possibilité, à chaque film, de renouveler la partition, en modulant sur les compétences ou l’intégrité du shérif local et la menace endémique ou extérieure qui viendra pourrir la localité.


Chaque ville est une enclave, et La chevauchée des bannis joue parfaitement de cette notion. Alors que la situation est déjà complexe sur le terrain (un triangle amoureux qui ne dit pas son nom, des clôtures qui déchirent la sérénité des lieux), l’arrivée d’un groupe de brigands va venir littéralement étouffer la communauté. Leur irruption est déjà un sommet de mise en scène, à la faveur d’une bouteille roulant sur un bar et dont la chute doit annoncer le début d’un duel qui n’adviendra pas.


La situation est pourtant un lieu commun du genre : la ville à la merci des criminels. Mais André de Toth parvient à étoffer sa tension par une incarnation fantastique de ses personnages : d’une part, un Robert Ryan torturé qui voit dans cette situation l’occasion de s’en aller pour purifier la ville de sa présence qu’il juge toxique, et face à lui, un Burl Ives impérial en patriarche des brigands, le seul à pouvoir les tenir en laisse et différer le déchaînement de violence qu’ils rêvent de mettre en œuvre. Avides d’alcool et de femmes, ses brutes n’attendent que son signal. Starret (Ryan) le comprend parfaitement et se mesure donc à lui, contestant son autorité pour qu’il la maintienne sur ses sbires, et comprenant qu’il faut maintenir le chef blessé en vie, et ce pour la survie de la ville entière.


Tout se joue ainsi sur cette manière de jouer du statut de la ville : on fera tout pour qu’elle ne soit qu’une escale, tandis que les voyageurs y pratiqueraient bien la politique de la terre brûlée. La scène du bal, incroyable de violence feutrée, concentre toutes ces thématiques. On accorde un « divertissement » aux importuns, mais sans alcool, et donc d’alibi final à l’expansion des instincts les plus vils. On est ici à l’inverse d’un Peckinpah, qui trois ans plus tard transformera une noce en orgie : tout se passe sur le fil, et le rythme trop saccadé d’une danse, suivie par un travelling circulaire vertigineux, diffère sans cesse le point de bascule. De Toth n’avait apparemment pas prévenu ses actrices du jeu de leurs partenaires, et on n’a pas de mal à le croire lorsqu’on voit l’effroi sur leurs visages.


Le salut passe donc par la fuite : la quête est celle de l’expulsion du groupe, en leur faisant miroiter une voie de traverse dans les montagnes qui leur permettrait de dépasser l’impasse qu’est leur escale. Comme chez Mann, la nature est un personnage à part entière du récit, et la neige joue ici un rôle primordial. Starret pratique la saignée, et s’associe à cette purge. Après le huis clos étouffant et violent, place à l’avancée pénible dans des paysages qui enlisent les chevaux et pétrifient de froid les protagonistes.


La même énergie vénéneuse enserre pourtant tous les lieux : c’est un rythme contrarié, dans lequel l’action n’explose jamais entièrement, et o la violence se propage à la manière d’une gangrène qu’on peine à contenir. Les règlements de compte du dénouement seront au diapason de cette poisseuse atmosphère. Si la fin peu paraître un peu trop heureuse au vu de tout ce qui s’annonçait, on ne s’en débarrasse pas pour autant.


Dans cette chevauchée, c’est le bannissement qui prime, et la rédemption n’efface pas pour autant la noirceur inhérente à l’humanité. La majesté des montagnes a certes pris le dessus, mais elle ne garantit en rien que l’ordre rétabli soit pérenne.

Sergent_Pepper
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le 4 févr. 2018

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Sergent_Pepper

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