Il y a deux expériences de spectateur que j'aime particulièrement, c'est celle du film dont on attend rien, qu'on va voir parce que c'est le dernier de la programmation que l'on n'a pas déjà vu et dont on ressort enthousiasmé et le film qui nous promet un récit très programmatique mais qui d'une façon ou d'une autre nous entraine vers tout autre chose. La convocation appartient à cette seconde catégorie.


On s'attend à suivre l'évocation, le traitement puis la résolution d'un conflit d'abord entre jeunes élèves, puis entre leurs parents, sous l'arbitrage plus ou moins bienveillant et impliqué de l'institution scolaire et nous l'avons. Le début du film, même si là il ne s'agit pas d'accusations portées contre un adulte, m'a fait penser à La Chasse de Thomas Vinterberg, notamment dans sa façon de traiter les différents protagonistes tant du point de vue de leurs implications émotionnelles que de leurs statuts dans le corps social.

Car, bien vite, le film dévie de son postulat, sans jamais l'abandonner, ce dernier reste central tout du long, mais petit à petit l'écheveau de l'histoire apparait comme plus complexe, plus retorse, beaucoup moins manichéenne qu'elle veut bien l'admettre. On sent que quelque chose de l'ordre de la tension et du ressentiment entre adultes et à l'œuvre, des tensions qui sont conflictuelles ou sexuelles selon les cas. Je n'en dirai pas davantage, si ce n'est que le film qui envisage de traiter de la parole des victimes, de la confiance que l'on octroie à la parole des enfants, mais développe in fine une critique assez virulente et acide de ces bourgeoisies issues des petites villes de provinces, de ces cercles pas toujours vertueux qui se connaissent tous depuis l'enfance et chez qui l'intégration d'éléments étrangers n'est jamais totalement acquise d'autant plus quand on parait et se comporte comme l'électron libre. Un côté chabrolien ou buñuelien qui a toujours son petit effet chez moi : "les bourgeois c'est comme les cochons, plus ça devient vieux, plus ça devient con."


C'est cependant au niveau de la mise en scène, que ce film m'a impressionné. Les plus attentifs parmi vous auront sans doute perçu dans le nom du réalisateur Halfdan Ullmann Tondel, un air de déjà entendu, c'est en effet le petit fils de Liv Ullmann et de Ingmar Bergman, et du coup les esprits chagrins ne manqueront pas à raison de noter l'héritage prestigieux qui innerve sa réalisation, mais bordel que c'est maîtrisé ! Oui on sent dans la façon de cadrer, de faire jouer sa caméra avec ses acteurs et une actrice en particulier, j'y reviendrai, l'influence de son illustre aïeul, mais quand quelque chose fonctionne il serait étrange de ne pas s'en inspirer. Puis cela n'empêche en rien d'apporter toute sa personnalité, son originalité, or je trouve qu'à plein d'endroits l'émancipation n'est pas qu'un désir contraint et empêché mais une réalité qui s'imprime à l'écran.


Si vous êtes sensibles à la grammaire de réalisation, c'est un régal de chaque instant. Pas un plan qui ne soit pas signifiant, pas un mouvement de caméra qui ne serve pas l'intrigue, pas un effet de style qui nous fasse sortir du film parce que démonstratif avant d'être pertinent, le jeu sur les focales, la façon dont grâce à la mise au point faite sur telle ou telle partie du plan, nous sommes constamment invités à promener notre regard pour saisir l'action, c'est passionnant. C'est définitivement un film qui montre ce qu'il ne dit pas à travers ses dialogues ou son scénario et qui le montre sans se départir d'une esthétique absolument sublime. Ce qui là encore prouve de la part du cinéaste, la totale maîtrise de son dispositif, jamais sa direction artistique ne dévie. Quand le film veut nous faire rentrer dans la psyché d'un des personnages en empruntant des sentiers oniriques, pour le coup du cauchemar, il ne change pas de style d'un coup pour une séquence, sa photographie admirable reste identique, le grain de l'image ne varie pas pour nous faire comprendre avec insistance que : "là c'est pas tout à fait le vrai monde mais autre chose, faut imaginer que là vous êtes dans l'esprit de la dame". C'est tout dans de subtils et toujours à propos éléments induits par la caméra. Il est des films que l'on peut regarder sans le son mais qui parce que absolument précis et tenus dans leurs mises en scènes sont totalement compréhensibles, celui-ci en est un selon moi un exemple probant.


Halfdan Ullmann Tondel se révèle également un très bon directeur d'acteurs, j'ignore le degré de son implication dans le processus de casting mais ce qu'il parvient à obtenir de ses différents comédiens et comédiennes est remarquable. On a effectivement de bons et même de très bons acteurs dont même les physiques font échos aux caractères de leurs personnages, je pense à l'institutrice qui dans son attitude montre déjà des fragilités et un manque d'expérience. Je pense au directeur de l'école de qui émane jusque dans cette barbe qui voudrait cacher un menton fuyant toute la faloterie et le manque de courage. Mais encore faut il savoir filmer ses acteurs et les diriger pour obtenir la parfaite alchimie entre l'impression dégagée et le rôle, or le cinéaste y parvient de façon indiscutable et exemplaire. Sa façon de saisir les émotions, les doutes, les messages non verbaux qui sont échangés tout du long est rare. Quant au traitement qu'il réserve à la maman du petit garçon au cœur de cette convocation, un seul mot : chapeau ! Il en dégage une force mêlée de trouble, une sensualité qui parfois va même jusqu'à une certaine forme de sexualité, il y a des moments où l'on sent les hormones à travers l'écran et sans jamais tomber dans le vulgaire. Cette maman qui nous permet de découvrir ou redécouvrir une actrice qu'on avait vu dans Julie (en 12 chapitres) film que je n'avais pas beaucoup apprécié et où sa prestation m'avait poliment laissé froid, Renate Reinsve qui là est magistrale et puis qu'elle est belle !


Je fais ici au moment où j'écris ces lignes, le 18 mars 2025 au lendemain de ma séance, deux paris. Le premier est que ce film sera à la fin de l'année au moment des bilans dans mon top 5. Le second est que je pense que j'ai assisté à la naissance d'un immense cinéaste, sur ce point je crois que des gens plus qualifiés ont fait le même puisqu'il a reçu la caméra d'or lors du dernier festival de Cannes, récompense attribuée au meilleur premier film, toutes compétitions et sélections confondues.

J'ai hâte de découvrir ses prochaines réalisations, si en plus il parvient à y insuffler plus encore de lui qu'il ne l'a fait ici, si il se libère totalement des influences du grand-père alors le prénom de Halfdan sera une nouvelle étoile au firmament du cinéma mondial.


Un dernier argument si mon incitation à foncer voir ce film norvégien sans attendre ne vous a pas encore convaincu, la bande originale signée Ella Van Der Woude qui soutien parfaitement la narration tout en étant un régal pour mélomanes.


Pourquoi dès lors, devant tant d'enthousiasme ne pas lui attribuer la note suprême de 10 ? Parce qu'il s'agit d'un premier film et que c'est bien de garder une marge de progression et puis il y a une scène du film qui n'est pas à la hauteur du reste. Une scène de fou rire qui est sensé apporté de la gêne, ce qu'elle réussit dans un premier temps, mais qui parce qu'elle traîne trop et aurait mérité d'être raccourcie passe de gêne à embarras, un pas grand chose mais qui détonne dans ce quasi sans faute.

Créée

le 18 mars 2025

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