L'audace précède l'homme et l'homme précède l'audace.

Nous suivons Marcello pris dans le tourbillon d'une vie d'oisiveté dans les années 60. Dans cette dialectique de l'audace, il erre dans une quête de sens et de liberté dans le faux confort offert par les hautes sphères qu'il côtoie par son métier.


Au travers de l'ivresse du monde des célébrités, on comprend assez vite que son incapacité à embrasser pleinement l'audace de ses rêves le rend spectateur de sa propre vie. Se contentant des plaisirs de surface, du corps et des instants, il reste dans l'incapacité de dépasser les plaisirs fugaces, le privant d'aspirations à la signification plus profonde. Pris dans un torrent vaniteux, lui qui rêve de s'extraire du sensationnalisme journalistique pour accueillir plus de poésie.


Le film est l’illustration somptueuse des diverses aspirations humaines de tous ces corps se démenant dans une désillusion permanente. Quelle est leur place dans ce monde factice à strass et paillettes ?


À travers Marcello, Fellini pose une question fondamentale : l'audace peut-elle exister sans que l'homme ait le courage de s'y confronter ?


Dans cette Rome où l'audace n'a de cesse d'exalter cette ferveur décomplexée et grotesque de la vie moderne. Elle prend part dans chacune des entités dépeintes. Dans les hordes de paparazzis prêtent à bondir sur leur proie à chaque coin de rue, là où le regard des autres emprisonne. Dans l'effervescence des hautes sphères, un mouvement perpétuel vain créant cette fausse inertie. Mais aussi au travers des foules envoûtées et déjà dans les 60’s englouties dans le cirque médiatique. Comme le reflet d’une société qui croit en tout et en rien. Et les foules sont omniprésentes dans le film, mais dissociées de tout lien véritable et d’une certaine façon même déconnectées de l’espoir, elles ne sont plus qu’un reflet passif d’une société qui ne se pense plus, qui ne se voit plus.

Là où le conformisme et le spectacle ont absorbé toute spontanéité ne laissant place qu’à une forme d'audace faussement libératrice, corrompue et stérile. Les personnages osent mais pourtant rien ne change, on danse, on choque, on séduit, on pense vivre mais il n’en reste pas moins une succession d’élans sans aboutissement. Cette fausse audace n’est plus une force de transformation, mais une pose, un jeu social auquel tout le monde joue sans le savoir. Une fausse rébellion orchestrée pour l'illusion de la subversion, de la provocation, du mépris des normes. Une route artificielle laissant la révolte, la cohésion, la création, et l’amour sur le bas-côté.


Fellini donne à la ville son rôle de personnage à part entière, un personnage qui ose, crée le quotidien et se permet tout. Elle s’élance, animée d’un désir insolent et bercée par une modernité sans tabous qui glisse doucement vers la démesure. Une Rome façonnant les individus comme elle façonne Marcello à coup de tentations dans cette agitation bouillonnante de mondanités.


C’est un personnage complexe, à l’effigie du film, offrant un cadre où il fait bon vivre, mais où les repères se brisent. Où les âmes s'entrelacent, où les rires s'unissent et les pare-chocs s'entrechoquent dans une humanité en crise, comme pour lutter contre un sentiment complexe de brume des esprits. Une brume silencieuse enlaçant tendrement cette humanité en lui murmurant des questionnements d'identité, face à une quête de repère décloisonné. Le voyage n'est pas tant dans la divagation au travers de cette ville de l'aliénation, mais plutôt dans l'inaccessible auquel courent ces belles et jeunes âmes. Elle sème cette confusion intérieure des personnages et est un miroir de leur vide existentiel.


Par la figure de Sylvia, star américaine, véritable archétype sirupeux auquel quelques-uns tentent, parfois en vain, de précéder ou de suivre par l'audace. Elle incarne cette douce dérive hypnotique qui nous enlace pendant trois heures durant lesquelles plane l'indicible. Les fêtes nocturnes se succèdent et nous présentent moult archétypes, eux aussi, coupables, coupables de cette société de la jubilation permanente, non pas par hédonisme éclairé, mais par refus de la profondeur, par peur panique du vide.


La Dolce Vita comme défi lancé au réel.


Fellini prend le risque du contemplatif sans jamais sombrer dans l’inertie. Il offre une série de visions mouvantes, presque hallucinées, où la beauté plastique s’empare du tragique. Le film ne cherche pas à livrer une vérité ou une morale : il ose laisser le spectateur dans l’incertitude, le bombarder d’images énigmatiques qui dérangent autant qu’elles fascinent. Une audace suprême : celle de ne pas expliquer.


La Dolce Vita se déploie comme un acte d’audace cinématographique existentiel autant qu’essentiel. Fellini y ose une fresque provocante, où la poursuite effrénée de la renommée et du scandale devient non pas un simple thème, mais un moteur narratif qui pulvérise les codes classiques. Il y a ici une témérité presque insolente à exposer sans filtre l’élite romaine, cette aristocratie décadente et ivre d’elle-même, dont l’impudence flirte en permanence avec la chute.


L'audace, loin d’être un concept abstrait, est une dynamique vivante. Elle agit comme un miroir tendu à l'homme, un appel constant à dépasser les illusions et à se réinventer. Et Fellini ose dépeindre le désenchantement du monde moderne dans des couleurs de rêve : un onirisme baroque où monuments sacrés et modernisme s’entrechoquent dans une étrange harmonie, entre métaphysique et dérision. L’audace ici est aussi formelle. La narration s’affranchit des structures traditionnelles, éclatées en une suite de fragments dessinant une spirale plutôt qu’une trajectoire. Chaque épisode est une tentative d’étreinte avec la vie, vite avortée, aussitôt oubliée, une succession d’élans, de chutes, de reprises, dans une ronde hypnotique. C’est un film qui ose ne pas progresser, qui ose se répéter, se perdre, stagner et par là même refléter une société qui tourne en rond. Par sa mise en scène audacieuse et par la structure flottante de sa narration, Fellini incarne lui-même cette idée : en tant qu’artiste, il précède l’homme et invite son public à faire de même. La démarche d’un grand artiste ne serait-elle pas une affaire de tempérament ?


Être audacieux, c’est oser s’assumer en tant qu’individu et nous libérer de l'étreinte séductrice de la modernité.

Être audacieux, c’est refuser le vertige du vide.

Être audacieux, c’est accepter le silence et savoir l’écouter.

Être audacieux, c’est refuser le manichéisme.

Être audacieux, c’est oser représenter la complexité humaine, même et surtout quand elle dérange.

Être audacieux, c’est résister et renouer avec la liberté, une manière de se reconstruire face au vide indicible.

Retrouver son humanité dans une poésie dépossédée de tout artifice et avec comme seule fugue, l'amour. Dans sa simplicité la plus pure, si ce n’était plus un luxe mais plutôt une nécessité.

Et s’il ne suffisait pas simplement de trouver une autre forme de désir, plus simple, plus vraie, qui ne trompe pas. celle de se retrouver.

Une main tendue à l’autre, pour partager et construire ensemble notre existence.

L’audace artistique, c’est oser brouiller les lignes et refuser les réponses faciles.

Fellini dans son extraordinaire imprudence, nous livre sur pellicule une leçon sincère, tendre et ambiguë, certes teintée d’ironie, mais sans qu’il ne s'agisse véritablement d’une condamnation, mais plutôt d’un regard sensible sur l’humain.











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le 19 juin 2025

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