Le cinéma militant d’Yves Boisset atteint des sommets d’engagement et de noirceur avec La femme flic, grand film brûlot qui tire à boulets rouges sur tout ce qui bouge, en priorité la gent masculine – Miou-Miou incarnant une jeune inspectrice, à la fois déterminée et toute en retenue, dans un monde foncièrement misogyne et paternaliste – et une police frileuse, toujours encline à fermer les yeux si les enquêtes empiètent sur les hautes sphères institutionnelles.
C’est l’histoire de Corinne Levasseur, une flic parisienne que l’on mute de force dans le Nord Pas-de-Calais car elle devient un peu trop gênante, un peu trop idéaliste, un peu trop investie. Elle est d’abord missionnée pour délivrer des cartes d’identité, des passeports, rédiger des rapports. Un jour, elle se voit néanmoins chargé d’enquêter sur un suicide avec possible histoire incestueuse. Mais à la suite de la découverte du corps d’une fillette dans les corons, sur un terril, elle découvre un vaste réseau de prostitution enfantine au sein duquel les plus véreux politicards et riches industriels de la région semblent agir en toute impunité depuis la nuit des temps.
Il est à noter qu’Yves Boisset s’inspire, pour La femme flic, de plusieurs affaires liées à la prostitution, mais surtout d’un fait divers ayant eu lieu l’année précédente, le (supposé) suicide d’une fonctionnaire de police ayant démissionné après avoir enquêté sur une affaire de pédo-criminalité impliquant des notables de Lille. Le récit du film est sordide. La réalité peut-être encore davantage, puisque le film laisse la possibilité d’une issue, d’un éventuel espoir.
Bref, ce n’est pas un Boisset des plus subtils, encore moins nuancé, quand bien même les personnages du syndicaliste au chômage et du prêtre ouvrier prêtant mains fortes à Levasseur servent de seconde boussole dans ce monde pourri. Boisset n’hésite pas à mettre les pieds dedans, à l’image des revues pédopornographiques ou de cette scène atroce, sourde, qui voit notre femme flic en filature observer un vieil homme qui accompagne une gamine de l’école vers un hôtel de passe.
Certains diront que le sujet et l’engagement de ce film-dossier dévorent un peu la mise en scène de Boisset, qui se fait plus fonctionnelle que dans Espion, lève-toi, par exemple. Au contraire, il me semble qu’il fait une description juste de l’époque et la vie morose dans les villes minières, l’ambiance d’un commissariat, le fonctionnement d’une enquête, qu’il capte la vie des gens, les visages. Sa mise en scène est discrète, oui, mais au diapason de son personnage central. C’est un magnifique portrait de femme doublé d’une radiographie sociologique terrible. Un film d’hier qui résonne malheureusement encore bien aujourd’hui.