Guillermo Del Toro, réalisateur aux failles indéniables mais toujours honnête envers lui-même revient à un cinéma plus intimiste après ses deux derniers films Hollywoodiens qui débordaient d'amour mais moins de maîtrise comme l'a été son Labyrinthe de Pan. The Shape of Water, lauréat du Lion d'Or de la Mostra de Venise s'annonçait comme le retour tant attendu de cet artiste plus conteur que réalisateur au vu de son retour au romantisme.


Une histoire d'amour entre une femme tout le monde et une créature amphibie. Tout ce qu'il y a de plus guimauve mais qui peut toujours être somptueux car une romance quand elle est belle, elle ne vieillit jamais.
Vieillit est bien un mot à souligner car Del Toro prend en exemple plus que jamais des classiques du genre. Le film jouit d'un cadre rétro appréciable lui faisant ressembler à un vieux film des années 50-60, période charnière des monstres et des mélodrames. Mais surtout d'une Amérique censée être à son âge d'Or (America Great Again...je vous ai rien dit, d'accord ?) mais renfermée sur elle-même dans sa guerre face à l'inconnu, là-dessus se concentre en vérité la caméra du réalisateur, sur ses personnages baignée dans cette époque, plus que sur le monstre.


Entre une Sally Hawkins muette et très convaincante possédant un nom Espagnol, une Octavia Spencer Afro-Américaine déçue en ménage, un Michael Stuhlbarg agent Russe infiltré en laborantin Américain mais plus humain que n'importe qui, un Richard Jenkins artiste reclus homosexuel en passant par un Michael Shannon personnification volontairement caricaturale de la vision parfaite vendue par l'Oncle Sam (famille blanche, femme au foyer, voiture, maison de banlieue, virilité, pointillisme religieux) et qui comme ce dernier, ne trouve sa complétude que dans le contrôle de la situation.
Quant au monstre, c'est ironiquement lui le plus délaissé, car Del Toro lui accorde, mais ici avec plus d'efficacité, le traitement qu'il a gauchement employé avec ses fantômes dans Crimson Peak: son impact se trouve dans ce qui se trouve autour de lui et non lui-même. Bien que ce soit aussi ce traitement qui donne après le visionnage de son nouveau film le ressenti d'un délaissement de potentiel.


Le couple formé par Elisa et la créature amphibie est plus une excuse, disons plutôt une étincelle chaleureuse, pour servir d'éclairage à un tableau d'un monde où l'inconnu est soit terrifiant, soit inutile. La différence étant toujours montré du doigt (notamment là-dessus que joue l'utilité du personnage de Giles qui fait un peu office de monstre n°2 dans le film) et la non-volonté de rentrer dans le rang au nom des véritables valeurs humanistes à défendre est à jeter (Michael Stuhlbarg dont la morale le coince entre son patriotisme et son travail). Opposé au monde gris et froid des règlements et du laboratoire, se trouvent tout ce qui constitue la passion et le romantisme tel que des vieux films, le cinéma dans lequel vit notre héroïne


pour aboutir au point culminant où celle-ci se met à s'imaginer dans une comédie musicale avec son bien-aimé dans un monde idéal mais tout ce qu'il y a de plus irréaliste.


C'est d'ailleurs sur ce point, tout logiquement car c'est sur ce propos Guillermo Del Toro danse avec ce film, que l'on peut voir un manque de culot. Notamment dans son manque de nuance des deux visions qu'il oppose (le personnage de Michael Shannon, malgré des traits de caractère volontairement exacerbés en souffre, mais n'oublions pas son général...). Et surtout la relation entre Elisa et la créature amphibie dont les interactions muettes auraient pu aller plus loin et dont le début de la relation est beaucoup trop rapide. C'est quand même ce point qui est censé tout contrebalancer avec son apport émotionnel, pas aussi conséquent que prévu.
Un autre élément à reprocher et que...assez ironique de l'admettre, on a déjà vu ça. Les thématiques que Guillermo Del Toro étant finalement transposé pour un Labyrinthe de Pan en plus soft et plus doux dans un contexte qui les rend simplement plus actuels.
(Je vais spoiler Le Labyrinthe de Pan pour les besoins de la bannière spoiler. Regardez-le lui aussi si vous ne voulez pas vous gâcher une belle expérience cinématographique).


Sur ce point, les ressemblances avec son chef-d'oeuvre de 2006 sont quand même présentes et y apporte des symboliques pratiquement identiques. La fin où Elisa se fait tirer dessus par Michael Shannon (dont l'utilité narrative et l'utilisation sont littéralement les mêmes que celle du Capitaine Vidal dans la façon de personnifier un gouvernement/environnement belliqueux, la différence présente étant dépendante du contexte du film) pour amener finalement à un état d'accomplissement, bien que cette fois il ne recule pas face au Happy End, est un bon exemple. Surtout que pour avoir repris un animal amphibien comme l'a été Abe Sapiens d'Hellboy, on peut penser que Del Toro a plus voulu se rattacher à ce qui faisait son succès après les retours froids de ses deux précédents films, bien que là-dessus ce soit sujet à débat.


Des ressemblances qui n'en font pas une copie (bien entendu que non) mais qui tendent à mettre légèrement en hésitation la légitimité de son prix à Venise.


La Forme de l'eau n'est donc, pas la claque que laissait attendre sa réception dithyrambique (et je n'en attendais pas une claque à la base). On a "seulement" affaire à une nouvelle bonne expérience de cinéma avec un artiste confirmé qui nous offre ici une fable actuelle et magnifiée. Mais cela dit, ce film est à voir car il est honnête, beau, apaisant et parlant. Guillermo Del Toro en forme pour de nouveaux horizons espérons-le, pour continuer à nous émerveiller de la sorte.


(Bon par-contre, c'était trop compliqué de rouler vers la plage ? ^^).

Housecoat
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le 21 févr. 2018

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