Il est difficile d' exprimer par des mots l'émotion qui m'a saisie en revoyant sur grand écran et en version restaurée cette Grande Illusion, la quintessence du Cinéma, hymne formidable d'égalité et de fraternité qui exalte l'Homme, véritable message d'espoir et de foi en chaque individu.



J'avais le désir de montrer que même en temps de guerre les
combattants peuvent rester des hommes



déclare Renoir, qui puisant dans ses souvenirs va s'inspirer pour créer l'un de ses personnages, du Général Pinsart connu en 1916. alors que futur réalisateur il servait comme chef d'escadrille.


Le Capitaine d'état major né de Boëldieu et Maréchal, lieutenant d'aviation, vont se retrouver prisonniers dans un camp, sous la férule sévère mais juste du Commandant allemand Von Rauffenstein, magistralement interprété par Erich Von Stroheim, aristocrate de vieille souche qui a le sens des valeurs humaines malgré son orgueil de caste, dernier représentant comme son homologue français, d'un monde qui s'éteint.


Une guerre toujours présente par la mise en scène, les décors, les sons et la narration mais une guerre qu'on ne verra jamais dans sa dure réalité.
La première scène ne laisse d'ailleurs pas de surprendre par son côté presque insouciant et ludique dans un tel cadre : un disque tourne tandis que s'égrène l'air bien connu de Frou-Frou que reprend Gabin de sa voix gouailleuse, regard voilé et sourire vaguement mélancolique.


Des hommes, "des soldats qui jouent aux enfants" se réjouissant tels des gosses de la pièce de théâtre où, déguisés en femmes, ils laissent libre cours au plaisir d'abord, puis à la nostalgie qui les étreint en se remémorant leur vie en France : qui l'instituteur amoureux de Pindare, qui l'histrion cabotinant à qui mieux mieux, ou Rosenthal le riche banquier juif, pourvoyeur régulier de colis et de bonnes bouteilles.


Un climat de fraternité et de compagnonnage va donc s'établir chez tous ces hommes profondément différents mais unis par le même idéal, un groupe d'où vont émerger finalement trois personnages emblématiques prisonniers d'un nid d'aigle, sombre forteresse se détachant dans la blancheur éclatante de l'hiver.


Récit d'évasion, aventure humaine palpitante servie par des dialogues et des interprètes fabuleux : comment oublier la classe et la distinction d'un Pierre Fresnay enfilant avec une suprême élégance ses gants blancs, que regarde ébahi, l'homme du peuple, le bourru au grand coeur incarné par un Gabin aux cheveux blonds et à l'oeil clair, s'exclamant d'un ton goguenard :



décidément, les gants, le tabac, tout nous sépare!



Et c'est pourtant ce même homme, cet officier raffiné croyant à la chevalerie des faits d'armes, qui va se sacrifier en parfait homme d'honneur, n'ignorant rien de "la règle du jeu".
Une superbe étude de l'amitié entre ces trois Français que sépare leur origine sociale, Boëldieu et Maréchal développant chacun deux conceptions fondamentales de la guerre, véritable devoir patriotique pour ce dernier : défendre la nation et la démocratie pour laquelle ses ancêtres ont versé leur sang.



Tous les démocrates du monde doivent voir ce film
disait Roosevelt tant il est vrai que les actes sont justes, les hommes intègres et fraternels : un Commandant allemand et un Capitaine français peuvent se manifester leur estime et leur amitié, une paysanne allemande tomber amoureuse du prisonnier français qu'elle a hébergé, et les soldats ennemis épargner les fuyards qui viennent de fouler le sol suisse.



Un chef-d'oeuvre du cinéma français qui frappe par l'importance accordée aux êtres et ce, quelle que soit leur nationalité, servi par la mise en scène admirable de Renoir au sommet de son art.
Un drame poignant qui m'a profondément émue,



une réalisation où palpite le génie et un chant d'amour dans
l'humanité."


Créée

le 1 juil. 2012

Modifiée

le 26 sept. 2012

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Aurea

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