Ce qu’il faut premièrement saluer dans « La Lettre inachevée », c’est le travail de Sergueï Ourroussevski, chef-opérateur attitré de Mikhail Kalatozov, réussissant ici un véritable prodige en domptant les vastes paysages de la Sibérie. Car « La Lettre inachevée », au même titre que « Quand passent les cigognes » et « Soy Cuba », déchaine les éléments pour mieux leur rendre grâce, et exalte les reliefs hostiles. Traitant l’aventure de chercheurs de diamants tournant au chaos, le film abandonne petit à petit ces personnages, brule sa préciosité narrative, pour se révéler comme une œuvre succombant à la dictature du formalisme, mettant en avant l’homo-soviéticus, remplie de rêves et d’espoir. D’ailleurs, on note rapidement que les protagonistes n’ont pas grand chose de passionnant : ils sont convenus, n’ont pas vraiment de personnalité, et, pour ne pas faire d’euphémismes, ressemblent à des pantins de série B. Et là, le travail de Kalatozov et Ourroussevski prend tout son sens : la nature est ici travaillée comme un personnage, et sa valeur au sein de la narration ne cesse de redoubler.
Tournée pendant un an, « La Lettre inachevée » sort donc du cadre de la simple provocation. Randonnée didactique, le film dispose du charme de la débrouille et d’une fluidité inédite. D’ailleurs, Kalatozov n’hésite pas à chercher l’expérimentation visuelle, notamment avec ces flammes, en surimpression, brouillant les images, ou la caméra, qui en fonction de l’urgence de la situation, devient nerveuse, pour ne pas dire destructrice. En somme, c’est une leçon de réalisation, mais bluffant notamment via le montage, particulièrement travaillé. Le réalisateur se montre également contemplatif. On pourrait prendre comme exemple la séquence de l’incendie, d’une intense longueur. Ce chapitre est aussi sublime qu’il est fatigant, nous mettant face à l’apocalypse totale, à la destruction. C’est le moment où les personnages sont placés en retrait, et où la nature s’accapare les devants de la scène, transformant le film en survival sublimé.
Bien sûr, mis à par son aspect technique, « La Lettre inachevée » semble assez désincarné, notamment à cause de ses choix narratifs aventureux. Il s’agit d’un film reposant sur une idée sombre : célébration de l’homo-soviéticus s’achevant par sa défaite face à l’environnement. La nature triomphe, et elle s’en fiche ! Ce qui explique le titre… Malgré tout, le principal intérêt du film vient du fait qu’il renferme un grand nombre de séquences absolument grandioses, photographiant une forme audacieuse et un fond authentique. Un succès qui sera également la recette du prochain film de Kalatozov et Ourroussevski : « Soy Cuba », leur chef-d’œuvre.