Un homme trop tranquille

Débutant comme un polar, le film devient un drame psychologique intense en se concentrant sur le personnage du professeur Blanchon, splendidement incarné par un Jean Desailly plus opaque et énigmatique que jamais.

L'enquête policière n'est qu'un prétexte pour faire le portrait d'un homme trop tranquille dont la vie bien rangée va être brutalement chamboulée par l'assassinat d'une jeune fille. Chamboulée, parce qu'il est rapidement soupçonné par le juge d'instruction et va subir le regard hostile du voisinage. Chamboulée aussi parce que l'enquête révèle que la victime, qu'il hébergeait avec son épouse, était secrètement amoureuse de lui. L'enquête fait remonter des souvenirs troublants à propos de Belle qu'il n'a jamais vraiment regardée et son père mort par suicide. Débute alors une longue introspection (en voix off) pour le professeur qui réalise qu'il est peut-être passé à côté d'une histoire d'amour avec Belle - et aussi peut-être à côté d'une vie différente. Français exilé à Genève et marié à une Suisse protestante trop sage, Blanchon étouffe dans une vie calme, loin des turpitudes de son défunt père coureur de femmes et alcoolique. Le mal-être grandissant de Blanchon imprègne le film et l'atmosphère devient de plus en plus oppressante et mélancolique. Molinaro fait le portrait saisissant d'une communauté soudée, imprégnée de religion mais prompte à condamner l'intrus. Blanchon se sent de plus en plus étranger et finit par rejeter cette communauté hypocrite.

On retrouve le mordant de Simenon dans ces portraits impitoyables d'hommes et de femmes pleins d'ambiguïté et une bonne dose de misogynie.

Molinaro utilise à la perfection le regard sombre et l'apparence lisse de Jean Desailly qui semblent cacher un abîme de mystère. Monique Mélinand est parfaite en épouse glaciale, tandis que Jacques Monod est un juge d'instruction tordu et débauché.

Les dialogues de Jean Anouilh sont sublimes. Pas une ligne inutile.

Si vous ne connaissez de Molinaro que "La Cage aux Folles" ou "Hibernatus", la face sombre de sa filmographie cache quelques chefs-d'oeuvre qu'il faut découvrir d'urgence, dont celui-ci.