Un panneau prévient d’emblée « En France, 20% des affaires criminelles restent irrésolues ». On sait donc que cette histoire qui a tout l’air d’ une énième enquête policière pour trouver un.e coupable sera sans issue. Elle nous tient pourtant parfaitement en haleine pendant deux heures. La raison en est que Moll ne s’arrête pas à l’enquête pure mais trouve un parfait équilibre entre l’enquête, une approche quasi documentaire du vécu d’une équipe de la PJ, des réflexions d’ordre sociétale feministes et un regard humain minutieusement dessiné des personnages et caractères en présence. Tout cela parfaitement filmé, la mise en scène est claire et simple, tout en restant très conventionnel.

La nuit du 12 octobre 2016, Clara, jolie blonde de 20 ans, rentre chez elle après une soirée entre copines. Au matin, elle est retrouvée morte brulée vive dans son lotissement, à deux pas de chez ses parents. la PJ de Grenoble est appelée pour enquêter.

Le film rend hommage au travail méticuleux de la Police Judiciaire.

On espère à chaque nouvel indice, que le travail de fourmi des enquêteurs va permettre de lever un coin du voile. Enquêtes de voisinage, planques, interrogatoires, recoupement d’infos, perquisition, écoutes téléphoniques, chaque investigation nous fait guetter le moindre indice et soupçon ; chaque personne interrogée nous donne des raisons de croire en sa culpabilité.

En quasi documentariste, Moll se sert de cette enquête pour décrire le quotidien d’une équipe de PJ. Tout y passe des problèmes et des difficultés de fonctionnement de cette profession. Qu’elles soient matérielles (photocopieuse en panne récurrente, manque d’argent pour les enquêtes, complexité des relations entre les différents services, délicate répartition des affaires avec la gendarmerie), qu’elles affectent le vécu des policiers (heures supp non payées, incompatibilité du métier avec une vie de foyer) , ou qu’elles fassent douter du sens de la fonction, submergée par la paperasse « Ici on combat le mal en rédigeant des rapports, des rapports, des rapports… » explique l’expérimenté au nouvel arrivant.

Sur cet univers très masculin (auquel s’intègre quand même une femme à la fin du film), Moll porte un regard féministe distillant quelques remarques sur la violence faite aux femmes dans la société. « Pourquoi les femmes sont-elles des proies aux yeux de certains hommes dans notre société ? » se demande le réalisateur qui constate par l’intermédiaire de ses acteurs qu’historiquement c’est toujours les femmes qui se font bruler (alors qu’aux hommes on coupe la tête) ; s’interroge sur le fait que c’est toujours les hommes qui à la fois commettent les crimes et mènent l’enquête. Il fait également réagir l’amie de la victime que l’on questionne sur la vie sexuelle de cette dernière. Pourquoi demande-t-elle au policier, s’intéresser autant à cet aspect de la vie de celle qui a été assassinée si ce n’est pour la présenter comme en partie coupable, responsable de ce qui lui est arrivé. Apparemment ils ne pensent pas tous comme cet inspecteur qui doit faire remarquer à un autre qu’« une fille facile et une fille pas compliquée, c’est pas pareil ». Clara était une fille pas compliquée.

Enfin Moll enrichit l’enquête en y intégrant tout une galerie de personnages parfaitement dessinés qui font vivre cette énigme qui piétine. Les deux principaux enquêteurs d’abord. Le jeune chef nouvellement promu (Bastien Bouillon), réservé, solitaire, concentré, droit, rigoureux dans les méthodes, on ne lui connait pas de vie affective ou familiale, son seul loisir étant le vélo sur piste qu’il pratique de manière obsessionnelle, tournant nocturnement seul sur l’anneau du vélodrome. En contre point son adjoint (Bouli Lanners) plus bourru a de l’expérience mais n’est pas forcément respectueux de la procédure. Il vit une période de doute. On sent chez lui une profonde lassitude à l’égard de son métier qu’il doit conjuguer avec un moment difficile dans sa vie affective. Ils vont croiser une palette d’hommes assez différents, ex- de Clara ou vagues connaissances, représentant des différentes formes d’attitudes auxquelles elle a été confrontée, la lâcheté, l’indifférence, la violence… Chacun pourrait être coupable mais aucune preuve n’émerge. L’affaire en restera donc toujours là.

kinophil
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le 13 juil. 2022

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