Critique pour Le Bleu du Miroir


Le voyage initiatique aux confins des étendues asséchées des États-Unis, mu par la nécessité inconsciente de se trouver, du jeune Charley Thompson offre le décorum naturaliste de Lean on Pete, film éponyme adapté du roman de l’écrivain Américain Willy Vlautine.


L’authenticité des mots est portée à l’écran par le réalisateur britannique Andrew Haigh, pour une adaptation où se délaie avec rudesse et douceur la véracité des êtres. Car au-delà de la fuite entre l’adolescent et le pur-sang en fin de carrière, le film conte, en creux des intimités, l’amour : entre un père et son fils, qu’importe les failles humaines, entre un enfant et sa tante, dont il ne reste plus que des réminiscences, entre un jeune homme et un animal. L’amour dans son degré universel, qui apparaît alors comme la quête existentielle de l’être, son essence même.


Dans cette ballade dopée au suc des émotions, Andrew Haigh convoque un esthétisme dénué de toute superficialité et use de métaphores habillement innervées par la substance cinématographique. C’est ainsi que le film opère une boucle signifiante sur la course de Charley, dont les premiers pas clôturent la fin avec une subtile nuance, parabole d’une quête de soi et de l’autre qui suit son chemin. Le père devient lui-même allégorie. Présent mais souvent en fuite, il demeure un point d’ancrage rassurant pour Charley qui lui porte alors un amour indéfectible, teinté de sang. Le cheval pour lequel l’adolescent se prend d’affection, baptisé Lean on Pete, porte en lui ce transfert émotionnel, mais la même fuite inexorable s’annonce.


Une fuite au départ à deux, à travers le désert où la poussière et la chaleur déposent un film sensible sur les personnages, laissant presque transpirer à l’écran la sueur et le goût chaud de l’air dans la bouche. Entre les herbes sèches s’esquissent le parcours existentialiste, avec des accents du roman Sur la route de Jack Kerouac. Mais Lean on Pete écarte les tourments adulte pour se concentrer sur ceux de l’adolescence, magnifiquement interprété par Charlie Plummer.


Âpreté des émotions
À travers les traits de Charley Thompson, adolescent de 15 ans bousculé par la vie, Charlie Plummer dévoile un jeu sans phare, distillant des émotions pures. Dans son corps comme dans ses sensations, l’acteur anime Charley d’une simplicité faite réalité, rendant le personnage touchant mais pas larmoyant. Aux côtés d’un Steve Buscemi saisissant dans sa vision antipathique et ses névroses, tandis que Chloë Sevigny incarne une jockey désabusée avec une sincérité naturelle. Un duo d’(in)sensible que Charley finira par laisser derrière lui, sur le bord la route, pour s’aventurer sur des terrains virginaux.


Et c’est dans l’atmosphère pesante des plaines sauvages que la mise à nue physique opère une mise à nue émotionnelle, le désert devenant un miroir grossissant de la solitude habitée par Charley. La splendeur des panoramas met en exergue la petitesse de l’humain à l’échelle de l’existence, dans cette poursuite d’individualité noyée. La poussière balaie le chemin arpenté par le vivant, qui n’est in fine que poussière lui-même. Lean on Pete regorge de poésie, et Charlie Plummer en devient le visage à l’écran.


Un lyrisme pour une errance emprunte d’un caractère mélo savamment dosé jusqu’à l’arrivée du protagoniste en ville. Andrew Haigh tombe malheureusement dans le pathos, proposant un passage qui enlève de sa superbe à la narration et rallonge le récit inutilement. Une amputation de vingt minutes redonnerait de la prégnance à cette universalité jusqu’ici déployée avec justesse malgré la tristesse fragmentaire de la vie.


Malgré cette réserve, Lean on Pete est un film authentique et intimiste, où l’émotionnel est capté avec un sens naturaliste qui donne toute sa force à l’histoire. Un dépouillement de l’être qui touche par la grâce de l’interprétation.

CCorubolo
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le 21 déc. 2017

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