Paul Newman, déjà, qui me ferait voir à peu près n’importe quel film. Et Stuart Rosenberg, avec qui il a déjà commis les très bons Luke la main froide et Le Clan des irréductibles : on ne pouvait passer à côté de ce film.
Nul doute que sans les précieux atouts mentionnées ci-dessus, l’œuvre se serait gentiment endormie dans le rayon « Polar avec Privé » : un scénar bien calibré, certes, mais dénué de toute originalité, un protagoniste qui répond point pour point aux injonctions de sa fonction (blasé, cynique, charmeur sans céder, cachant sous une carapace virile un sens moral qui sortira au moment opportun), et un milieu bien croqué.
Tout fonctionne gentiment : le Sud et ses marais, la famille aussi richissime en façade qu’elle est pourrie en coulisses, les trahisons, les fausses pistes, la corruption et les situations inextricables desquelles se tirera le héros.
Un point distingue néanmoins le film du polar traditionnel –même, si, au regard de l’histoire, il le fait représentant d’une nouvelle tradition- : son époque. The drowning pool (joli titre, apparemment intraduisible, d’où la VF bien improbable) sort en 1975, et porte clairement l’influence d’un Nouvel Hollywood qui impose ses lois déviantes. On y retrouve ce portrait désabusé et souvent drôle d’un personnage de détective paradoxalement en déconnexion avec le monde, et dont le détachement permettra de poser sur lui un regard lucide. Le privé d’Altman, sorti deux ans plus tôt, y est évidemment pour quelque chose. Il est d’ailleurs intéressant de le comparer à un autre film de 1975, La Fugue d’Arthur Penn : outre cette enquête levant les lièvres d’une famille mortifère, on retrouve Melanie Griffith, lolita vénéneuse qui fait des ravages (ou tente d’en faire) dans les deux films. Mais au pessimisme crasse de Penn répond un récit plus classique ici.
Il n’en demeure pas moins que le charme de Newman opère à plein régime. Parce que les années semblent le bonifier, et que ce qui faisait son insolence en sa prime jeunesse ne se dément nullement, faisant place à une sorte de sagesse pétillante et qui s’amuse des clichés dans lesquels on l’empêtre. Même lorsqu’on on le torture à coups de lance à incendie, l’homme sait garder ce flegme propre à faire enrager ses rivaux. Cette scène éponyme et sa suite, climax liquide du film, est aussi improbable qu’elle est délicieuse, et permet de façon bien opportune de laver le linge sale ou de tirer la chasse sur une situation bien problématique. Qu’importe : on suivrait Newman dans n’importe impasse. Il le sait, nous le savons, continuons ainsi.