La Tresse
6.6
La Tresse

Film de Laetitia Colombani (2023)

J'avais envie de voir La Tresse depuis sa sortie, l'affiche et la beauté de sa scène m'intriguant fortement. En commençant mon visionnage, je ne connaissais rien de la réalisatrice, ni de son livre, et presque rien du scénario.


C'est donc avec surprise que j'ai quitté une histoire tragique d'une famille d'intouchables prisonnière de son statut en Inde, pour arriver sur une jeune travailleuse italienne que l'on souhaite marier, puis sur une mère canadienne avocate et débordée. Au début, cela m'a fait peur. Je ne comprenais pas pourquoi nous quittions ce point de départ si intéressant, ne connaissant rien au sujet des intouchables, pour ensuite aborder des situations plus classiques, que ce soit au cinéma, ou de mon point de vue français. Je craignais une histoire décousue, et je souhaitais finalement juste voir un film sur l'Inde et les intouchables, ce que m'avait vendu l'affiche.


Mais une fois que les éléments perturbateurs communs ont commencé à se mettre en place (maladie, statut de femme, oppression sociale/économique/professionnelle), le scénario m'a accroché, et j'ai apprécié les cheminements divers vers la résolution.


J'ai compris que ce film n'était pas l'histoire d'une indienne, une italienne ou une canadienne, mais bien celle d'une tresse, comme l'indiquait le titre. Les histoires de ces trois femmes sont liées par la même tresse de cheveux, et leurs histoires, qui commencencent divisées, finissent par se tresser elles aussi. C'est ainsi que j'ai apprécié la construction du récit. Comme celle d'une tresse à trois brins. Leurs histoires ne se croisent jamais, elle ne font que s'entrelacer, jusqu'à former une belle chevelure.


(À partir de ce paragraphe, ma critique contient des spoilers sur la conclusion du film.)

Après mon visionnage, j'ai consulté d'autres critiques sur ce site, et je dois avouer que je ne m'attendais pas à ce que tant de personnes voient en ce film une "promotion du capitalisme". Je comprends comment on peut en arriver à cette conclusion, car le film n'émet jamais de critique directe sur le parcours de cette tresse, et se concentre sur un message de solidarité féminine, d'émancipation, etc.

Oui, la conclusion, c'est qu'une femme pauvre donne gratuitement ses cheveux pour une femme riche, et le film présente ça comme quelque chose de beau sans dire "ouhlala c'est pas bien elle devrait être payée la dame, quelle injustice..."


Mais, a-t-on toujours besoin d'être aussi explicite ? Certes, ce n'est pas dit, mais cela semble évident ?

Ce film n'émet pas de critique, mais son constat est extrêmement clair. Les privilèges de la canadienne, en comparaison avec l'italienne, et surtout avec l'indienne, sont totalement visibles. Leurs difficultés respectives sont exposées, mais leurs conditions de vie aussi. Au final, la femme riche profite d'une chevelure indienne donnée en offrande puis "whitewashée/décolorée" par une travailleuse italienne. Oui, une personne paie, une personne est rémunérée, et la personne pauvre à l'origine du don n'en retire aucun bénéfice. Évidemment, c'est extrêmement triste. Évidemment, c'est un modèle capitaliste qui profite aux riches et nuit aux pauvres. Et oui, le film ne dit pas explicitement que c'est mal. Mais je pense que nous devrions être capables d'atteindre cette conclusion par nous-mêmes ?


Surtout que chacune souffre clairement du modèle oppressif qu'est le capitalisme, et du patriarcat. Cela se voit le plus en Inde, avec la situation d'intouchable forcée à travailler sans cesse, sans rémunération, et menacée de mort si elle ne le fait pas. Elle croise une veuve dépossédée de tout à la mort de son mari. - "En Inde, il vaut mieux être une vache qu'une femme."

L'entreprise familiale italienne, elle, est en faillite car la concurrence des multinationales est trop forte, et les travailleuses sont menacées de perdre leur travail. Sa famille veut la marier de force à un homme riche pour prospérer. - "Et marier ta fille de force, c'est pas honteux ça ?"

L'avocate canadienne, elle, est au bord du burn-out, devant conjuguer sa vie de famille en tant que mère célibataire, son travail extrêmement prenant, et l'arrivée de sa maladie, qui peut lui coûter son poste, et sa position qu'elle a obtenu en travaillant durement. Une simple faiblesse peut la priver de sa réussite, et rien que son statut de mère semble être un problème pour son métier. - "Si l'on veut nager avec les requins, il ne faut pas saigner."


Il n'y a pas véritablement de happy ending. Au final, l'indienne est toujours dans une situation difficile, juste libérée de la torture de son quotidien, sans argent, et elle fait don de sa chevelure à une canadienne riche à l'autre bout du monde. L'italienne doit continuer de travailler, et est le maillon central de ce modèle capitaliste, qui coûte à la femme pauvre, et bénéficie à la femme riche. Mais qui, au final, les fait souffrir toutes les trois depuis des années, et les met toutes en danger.


Reprocher à La Tresse de ne pas être une critique explicite du capitalisme, c'est finalement regarder sans comprendre, sans réfléchir. Quand les souffrances générées par le capitalisme sont exposées ainsi, et qu'on est pas capable de déduire que "capitalisme=pas bien" simplement parce que la critique est nuancée et qu'on voit une personne contente d'avoir une perruque à la fin, c'est que le problème vient du public, et non de la réalisatrice.

Créée

le 6 août 2025

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