Difficile de ne pas reconnaître un charme douceâtre au cinéma d'auteur scandinave, tout de même...
C'est en tout cas la première chose qui m'est venue à l'esprit face aux premières minutes de Rêves, le premier volet de cette Trilogie d'Oslo.
Le format est légèrement resserré. La photographie est douce. Les plans caressent les visages. Les lignes pures du décor structurent les espaces. Le mobilier est tantôt courbe, tantôt boisé, tantôt laineux... Bref, c'est confortable, quoi...
Et tant mieux parce que, Rêves, c'est un film qui parle beaucoup. On sent bien qu'avant d'être réalisateur, l'auteur Dag Johan Haugerud était romancier... Et ça se sent quasiment tout le temps, en fait...
Alors, au départ, ça passe, parce que c'est pour nous raconter un amour adolescent interdit. Il y a un petit côté mignon, délicat et sensible, dont le jeu de l'actrice principale permet de parfaitement justifier l'intériorisation verbale, ce qui fait que le dispositif fonctionne malgré la banalité du propos.
Et puis le film bascule progressivement vers quelque chose de moins introspectif, de moins délicat et surtout de plus malsain.
En vrai, j'avoue ne pas être totalement certain du caractère volontaire et conscient de la nature du chemin que l'intrigue finit par emprunter, mais le résultat reste là : plus Rêves avance, et plus il s'évertue à salir ce qu'il avait initialement installé.
Sitôt révélée que la gentille bluette est questionnée, commentée, formellement analysée, judiciarisée – puis carrément exploitée – par tout le monde adulte auquel elle est livrée.
De monologue intérieur, le récit vire à l'enchaînement de dialogues tous plus toxiques, stériles et maltraitants les uns que les autres.
Et moi, tout ça, je l'avoue, ça m'a laissé un peu coi. Ça m'a laissé avec une étrange sensation d'entre-deux.
D'un côté, ce récit me consterne. De l'autre, il me fascine un peu.
Consterné, je le suis tant le portrait est presque caricatural. La bêtise bourgeoise libérale dans toute sa splendeur.
L'art de détruire le peu de beauté et de sincérité qui te tombe dans les mains pour le transformer en trauma ; en un truc sale qui révèle le pire de chacun.
L'art de ne pas comprendre les enjeux basiques de l'humain.
L'art de se croire singulier et au-dessus de la compréhension des autres pour des choses pourtant extrêmement communes...
Non mais ce film, c'est vraiment celui qui te rappelle, seconde après seconde, à quel point on est en train de saigner la planète et les corps sociaux jusqu'à la dernière goutte juste pour que la bourgeoisie aille tout claquer en séances de psy dès 17 ans tellement ils ne sont même pas foutus de profiter de leur putain de vie...
Mais d'un autre côté, je dois bien reconnaître que cette manière qu'a le film d'entretenir le flou – accidentellement ou non – sur son niveau de recul par rapport au sujet a participé à entretenir chez moi une pernicieuse curiosité, surtout qu'au bout du compte, au-delà de la grande perversité de chacun...
Mais c'est quoi ces personnages dont le premier réflexe est de penser en termes de méta-analyse, de plainte, de commercialisation et d'abus ? Là-dessus, Haugerud pousse peut-être un peu trop loin le bouchon... (Mais s'en rend-il seulement compte ?)
...le récit a néanmoins le mérite d'une certaine cohérence globale...
L'héroïne finit par claquer son pognon chez le psy. Tu m'étonnes...
...voire même d'un esprit de moquerie conclusif presque salutaire.
Le psy qui essaye de faire comprendre à l'héroïne, limite outrée, qu'elle n'est qu'une bourgeoise lambda parmi tant d'autres et que, lui, il se rince copieusement en se contentant simplement de la laisser déblatérer ses névroses infantiles et égotiques, c'est plutôt délectable comme scène.
Tout ça a d'ailleurs pour grand mérite de finir sur...
...le dépassement du trauma par l'héroïne et la possibilité de repartir sur quelque chose de plus sain, loin de toute cette brochette de personnes totalement toxiques que sont la mère, la grand-mère et l'amante manipulatrice.
Tout ça, au bout du compte, pour que le film nous rappelle, après presque deux heures, que ne se boucle-là, avec ce Rêves, que le premier volet d'une trilogie...
...Et j'avoue que c'est le genre de constatation qui m'a laissé pour le moins circonspect.
D'un côté, je comprends que Dag Johan Haugerud ait voulu prendre son temps pour poser ce cadre confortable dans lequel il est facile de se lover et de se perdre.
De l'autre, j'avoue que le fait que ce film m'ait au bout du compte imposé, pendant presque deux heures, un étalage d'états d'âme qu'on connait tous par cœur pour les avoir déjà vu étalés partout, ça m'a quand même pas mal gonflé.
Au bout du compte, tout ça a quand même des allures de gros enfonçage de portes ouvertes pour mieux justifier le fait de se complaire pendant presque deux heures dans son propre décorum.
Partant de là, est-ce que ça m'incite à m'en resservir pour deux séances ? Je ne pense pas.
Les longues séances de psychanalyse, je préfère quand ce sont les bourgeois qui les payent. Pas moi.