• Tu entends ?

  • Mais, Jeb chéri, il ny a personne. Tu l'imagines!

  • Je n'imagine pas. Je me souviens. En essayant de reconstruire ce qui s'est passé, tout me revient. Fort et clair. Il y a une réponse à y trouver. Quelque chose en moi qui explique tout.

  • Je ne comprends pas.

  • Tu vas comprendre. Je le dois avant qu'ils arrivent. Sais-tu pourquoi je suis venu ici ?

  • Non, Jeb. Ce n'est pas une bonne cachette. Ils sont sûrs de te trouver ici.

  • Je suis venu pour une autre raison. Je suis d'éjà venu ici. Il y a longtemps. J'étais encore un enfant. J'avais peur comme seul un enfant peut avoir peur. J'étais dans un endroit sombre et froid. Je gardais les yeux fermés comme pour sortir d'un rêve horrible. Le même rêve que j'ai fait toute ma vie.



La vallée de la peur réalisé par un de mes réalisateurs préférés "Raoul Walsh" est un mélange fascinant et passionnant entre le western dramatique et le film noir angoissant. Une oeuvre intense et inspirée qui témoigne de l'immense culture et de l'intelligence de son réalisateur qui livre un mélodrame assassin et fantomatique sur l'initiation et la perte de l'innocence par le traumatisme, empruntant tout ce qu'il y a de mieux à de nombreux genres différents. Un film contenant d'innombrables richesses, autant dans la forme que le fond avec un esthétisme sans pareil, ainsi qu'un récit rondement élaboré, le tout à travers une tragédie atmosphérique pleine de haine, de noirceur et d'amour.


Avec son récit à plusieurs niveaux de lecture, empreint de gravité et d'investigation sur les processus psychiques profonds de l'inconscient humain que l'on doit au romancier Niven Bush, on assiste à une histoire de vengeance non assouvie, de survivance et de renaissance à travers le personnage de Jeb Rand (Robert Mitchum) qui dès la séquence d'ouverture raconte à son épouse Thorley Callum (Teresa Wright), les circonstances qui l'ont conduit à se retrouver confiné dans une vieille ferme délabrée encerclée par des tueurs. C'est ainsi qu'à travers un flashback nous ramenant durant sa terrible enfance, que le récit commence. Histoire d'amour interdite construite sous forme de mystérieux drame noir passionnel présentant un jeu d'enquête basé sur le traumatisme d'enfance de Jeb, symbolisé par des fragments de souvenirs imprécis du meurtre de sa famille, servant de moteur psychologique pour générer l'attente, le suspense et l'énigme autour du pourquoi du comment. De quoi tenir allègrement éveiller le spectateur.


La photographie en noir et blanc de James Wong Howe est incroyable, dotée d'un contraste fascinant et édifiant mélangeant avec intelligence de multiples nuances de couleurs, dans un remarquable jeu d'ombre onirique. L'image prend vie grace à la disparité nuancée et la nature psychologique de la photographie déformée par l'impressionnante cinématographie en noir et blanc austère, conférant des sensations étranges se matérialisant sous forme de rêves et de cauchemars. La réalisation de Raoul Walsh est extrêmement subtile, d'une beauté et d'une finesse redoutablement angoissante, livrant bon nombre de thématiques passionnantes. Les symboles sont nombreux, se fondant parfaitement dans le récit, conférant au spectacle un fond complexe et rempli de sens. Le réalisateur offre à son film une ambiance assez unique, proche du fantastique et du polar, qui n'est pas sans rappeler La Nuit du chasseur qui sortira 7 ans plus tard, toujours avec Robert Mitchum.


Robert Mitchum en tant que Jeb Rand, délivre une performance mémorable pleine de sensibilités à travers son personnage solitaire et torturé par des vieux démons difformes. Psychologiquement instable, Jeb s'enfonce toujours plus dans le traumatisme à mesure que la malchance s'obstine à lui imposer des choix douloureux et impardonnables. Malgré tout, c'est dans l'adversité qu'il tente tout du long de percer le mystère entourant son triste passé, avant qu'il ne soit adopté. La comédienne Teresa Wright en tant que Thorley Callum soeur de Jeb (par adoption) et finalement femme de celui-ci, amène beaucoup de fraîcheur et de dynamique dans un rôle évolutif et habillement structuré, où elle deviendra une pièce noire dramatique de taille. Les sentiments brûlants entre Thorley et Jeb sont intelligemment posés, intensifiant la haine environnante. Le couple Mitchum / Wright fonctionne à merveille et promet de grands moments inattendus.


On peut compter sur d'autres personnages aux personnalités fortes et complexes comme avec Mme Callum mère de sang de Thorley ainsi que de son frère Adam, mère adoptive de Jeb. La comédienne Judith Anderson incarne fabuleusement ce rôle de mère. John Rodney en tant qu'Adam Callum frère de Judith et de Jeb par adoption offre une performance intéressante dans un rôle enflammé de dominateur excessivement confiant. Vient enfin Grant Callum incarné avec succès par Dean Jagger, antagoniste subtilement élaboré, qui complote discrètement dans l'ombre pour atteindre son but. Dean Jagger initialement habitué à des rôles moins nocifs et mauvais, offre une de ses meilleures performances. Les rôles secondaires sont tout autant intéressants.


Bon nombre de séquences mémorables sont à retenir, via une intelligente mise en scène insufflant une quantité de scènes intenses et menaçantes comme lorsque Jeb s'évade de sa demeure entourée d'assassins; ou encore lors de la confrontation fraternelle avec l'excellent arrière-plan sous forme de silhouette inquiétante; Les apparitions cauchemardesques de Jeb avec les bottes à éperons; la poursuite à cheval traversant des décors lugubres; le départ pour la guerre de Jeb avec juste avant le tirage à pile ou face; l'explication avec le révolver entre Jeb et Thorley; le surprenant final... Une succession de bonnes idées que l'on doit à l'oeil expert du cinéaste Raoul Walsh, expert dans l'art de mettre en boîte des grands moments qu'ils soient magiques, tragiques, effrayants ou spectaculaires. La composition musicale de Max Steiner alimente avec efficacité le travail du cinéaste avec quelques titres inquiétants et austères.


CONCLUSION :


La vallée de la peur est un film noir plein de mystères réalisé de main de maître par un Raoul Walsh au top de son niveau, offrant un western onirique dramatique surprenant traitant son sujet avec une technicité qui atteint le sommet à travers l'ambiance générale de l'image. Robert Mitchum et Teresa Wright proposent des performances incroyablement ambiguës à travers des personnages complexes.


Un western atypique dans l’histoire du cinéma.




  • Je veux te poser une question, maman. A propos de ce vieux ranch, là-bas.

  • Même une chèvre ne pourrait y vivre. Elle y mourrait de faim.

  • Des gens y ont vécu pourtant. Tu vois de quel ranch je parle ?

  • Je ne me rappelle pas. Je crois qu'il y a eu des gens là-bas, il y a longtemps.

  • J'ai la sensation d'y être déjà allé. Ce ranch a-t-il un lien avec moi ?

  • Ne me pose pas de questions.

  • N'y ai-je pas vécu enfant ? C'est là que tu es venue me chercher, il y a des années ? Est-ce pour cela que je me souviens ?

  • Je t'ai dit de ne pas regarder en arrière. Regarde devant.


B_Jérémy
9
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le 20 nov. 2020

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