Le 13e Guerrier : la passionnante saga maudite de John McTiernan


Introduction :


Dans la grande famille des films maudits, je demande Le 13ᵉ Guerrier. Huitième réalisation du maître John McTiernan — auteur des cultissimes Predator, Piège de Cristal, À la poursuite d’Octobre Rouge, Une journée en enfer ou encore Last Action HeroLe 13ᵉ Guerrier occupe une place de choix parmi les projets les plus malmenés de sa carrière. Désaccords artistiques entre le réalisateur et le scénariste Michael Crichton, conduisant ce dernier à retourner certaines scènes afin de les conformer davantage à sa propre vision ; abandon du film par McTiernan ; montage final supervisé par Crichton ; remplacement précipité du compositeur après le rejet de la partition tribale signée Graeme Revell… Tout concourt à faire du 13ᵉ Guerrier l’un des plus cuisants échecs critiques et commerciaux de la décennie 1990.

Mais depuis sa sortie en 1999, le temps a fait son œuvre, et l’œuvre est désormais réévaluée comme l’une des réussites majeures de son auteur. Penchons-nous donc sur ce 13ᵉ Guerrier, afin d’en décrypter, à travers une brève critique, la véritable portée.


Analyse :

1. Récit initiatique :

Adaptation du roman Eaters of the Dead de Michael Crichton — lui-même inspiré des récits d’Ibn Fadlan et du poème épique Beowulf — John McTiernan transcende ici la simple fresque historique pour livrer un fascinant récit initiatique. Parmi les nombreuses thématiques abordées par le film, la peur s’impose comme l’une des plus prégnantes. Il s’agit d’une peur viscérale, archétypale, une peur universelle : celle de l’inconnu.

Les Wendolls, créatures étranges et cannibales aux allures néandertaliennes, drapées de peaux d’ours, incarnent parfaitement cette angoisse primitive. Aux yeux des Vikings, ils acquièrent une dimension quasi surnaturelle, tant leur étrangeté et leur sauvagerie alimentent les fantasmes. Or, c’est précisément parce que l’homme ne peut grandir qu’en affrontant les terreurs qui sommeillent en lui que la compagnie de guerriers s’élance en croisade contre cet ennemi ancestral, retranché au fond d’une grotte. Celle-ci figure la psyché humaine, réceptacle obscur de nos peurs les plus profondes. Lorsque la « mère » des Wendolls est tuée, les héros fuient leurs poursuivants en empruntant un tunnel immergé : symbole d’une renaissance, d’un passage vers un nouveau soi, libéré de cette peur fondatrice.

Si l’on peut, à juste titre, voir dans les Wendolls une projection de notre crainte de l’inconnu, pourquoi ne pas également les envisager comme l’incarnation de notre part sombre, animale, cette dimension primitive que chacun tente de refouler ?

Au-delà de la peur, Le 13ᵉ Guerrier traite également de l’apprentissage. Si la peur, en tant que confrontation à l’inconnu, renvoie à l’enfance — cette période où l’homme commence à découvrir et comprendre le monde —, McTiernan prolonge cette idée par une mise en scène subtile de l’acquisition du savoir. Buliwyf demande à Ibn de lui enseigner la lecture et l’écriture, comme un enfant avide de connaissances. De même, c’est en écoutant, en observant patiemment, qu’Ibn parvient peu à peu à comprendre, puis à parler la langue des Vikings, au cours d’une séquence remarquablement pensée et exécutée.


2. Cosmogonies :

Au-delà de sa dimension initiatique, Le 13ᵉ Guerrier met en scène la confrontation de deux cosmogonies radicalement opposées. Si les historiens s’accorderont sans doute à classer le film dans la catégorie du gloubiboulga historique hollywoodien — aux côtés de Braveheart ou Gladiator —, force est de reconnaître que McTiernan parvient à nous faire croire à cette histoire en donnant à voir ce qui fonde toute civilisation : sa vision du monde, sa cosmogonie.

Une cosmogonie, un mode de vie, des croyances — autant d’éléments que le cinéaste ancre avec habileté dans un environnement qui les façonne. Ainsi, un simple garçon, patientant sur son embarcation, doit être observé à distance pour s’assurer qu’il n’est pas un spectre profitant des brumes pour tromper les hommes. Ce détail illustre combien la perception du réel est conditionnée par la mythologie propre à ce peuple. Polythéisme, funérailles sur un drakkar en flammes, invocation des ancêtres, croyance au Valhalla, récits d’immortels mangeurs d’hommes ou encore apparition du « serpent de feu » dévalant les montagnes : autant d’éléments qui immergent le spectateur dans une autre réalité, rendue d’autant plus tangible qu’elle se heurte à une vision du monde plus familière — celle de notre avatar, Ibn Fadlan.

Le 13ᵉ Guerrier orchestre ainsi la rencontre de deux cosmogonies, de deux cultures qui, plutôt que de s’opposer frontalement, finissent par s’enrichir mutuellement dans un dialogue subtil et respectueux.


3. Regard :

Pour conclure — et comme souvent chez McTiernan — Le 13ᵉ Guerrier interroge la notion de regard, ce que l’on voit réellement et ce que l’on croit voir. À l’instar de l’enfant qui apprend à parler en observant ceux qui l’entourent, les personnages sont ici invités à scruter leur environnement avec une attention nouvelle : qu’il s’agisse de l’enfant immobile sur son bateau ou des énigmatiques Wendolls, il s’agit toujours de confronter la perception à la réalité, de faire triompher l’observation sur la croyance, le réel sur le mythe. Regarder le monde avec acuité devient ainsi une manière de mieux le comprendre, de l’appréhender dans sa complexité et sa vérité. Et puisque le regard du spectateur se superpose à celui d’Ibn Fadlan, notre double narratif, c’est à travers ses yeux que nous découvrons cette terre étrangère, ses habitants, leurs mœurs, leurs rites.

Le film adopte dès lors une approche presque anthropologique, semblable à celle d’un reporter immergé dans une culture lointaine. Le regard devient alors outil de connaissance, et Le 13ᵉ Guerrier, sous ses atours de fresque épique, se mue en une véritable exploration du monde et de l’altérité.


Conclusion :


Si le montage final ne reflète pas entièrement la vision originale de son auteur, Le 13ᵉ Guerrier demeure néanmoins un récit initiatique d’une richesse rare, abordant tour à tour des thématiques universelles telles que la peur, le langage, le regard, les coutumes, les croyances et la cosmogonie. Le film touche ainsi à l’essence même de ce qui constitue notre humanité.

Sans jamais renier la dimension épique et spectaculaire de son propos — portée par une imagerie puisée dans l’heroic fantasy — McTiernan imprime à l’œuvre sa signature stylistique. Et ce, malgré le remontage opéré par Michael Crichton. Par la seule force de sa mise en scène, il élève Le 13ᵉ Guerrier au rang de film culte et, osons le dire, de chef-d'œuvre intemporel.

Un statut qui, toutefois, n’empêche pas les cinéphiles du monde entier de continuer à rêver, en silence, d’un hypothétique McTiernan’s cut.

Antonin-L
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le 10 août 2023

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