Maladroit, bête, prétentieux… Du pur Ridley Scott

Cette critique contient des spoilers

Introduction


Réalisateur des Duellistes, Alien, Blade Runner, Thelma et Louise ou encore Gladiator, Ridley Scott semble depuis quelques années victime d'une longue traversée du désert : Kingdom of Heaven, Prometheus, Cartel, Robin des bois, Exodus, Seul sur Mars, Alien Covenant en sont les preuves irréfutables. Mais en cette fin d'année 2021, le cinéma du bonhomme semble, selon les dires de certains, retrouver de la vigueur avec le film qui nous intéresse aujourd'hui : Le Dernier Duel.

Analyse

Le Dernier Duel c'est l'histoire du dernier duel judiciaire français. Marguerite de Carrouges a été violée par Jacques Le Gris, un ami de son mari, et décide de rendre l'affaire publique ce qui mènera Jean de Carrouges (son mari) et Jacques Le Gris à se battre en duel afin que le jugement de Dieu fasse éclater la vérité.

1. Kiki c ka violé ?

Il en faut décidément peu à la critique pour qu'elle se décide à coiffer à nouveau l'un de ses chouchous de la couronne des Césars. Ainsi, après maintes années de purges cyniques, Le Dernier Duel semble faire figure de renaissance dans la carrière de Ridley Scott. Mais voilà, et au risque de décevoir les fanatiques du bonhomme (oui, il paraît que ça existe encore), je vous le dit tout nette, non, Ridley Scott ne réalise en aucun cas le film novateur et virtuose que certains décrivent, mais bien un énième long métrage malhonnête et prétentieux. Grand admirateur d'Akira Kurosawa, Scott prend littéralement son pied à construire son film à la manière de Rashomon. Problème, quand chez le maître nippon ce type de structure narrative était totalement justifiée et prenait tout son sens à l'aune d'un propos tendant à l'universel, elle n'est ici que prétention et malhonnêteté car littéralement inutile et source de nombreux problèmes. Le film est construit en trois chapitres : le premier nous présente la version des faits selon Jean de Carrouges, le second nous présente la vérité selon Jacques Le Gris et le troisième, la vérité du point de vue de Marguerite de Carrouges ou devrais-je dire LA vérité comme notre tâcheron de réalisateur se plaît à le mentionner. Et c'est là que les problèmes commencent. Car si Kurosawa prenait soin de nous montrer le meurtre du samouraï selon chaque personnage sans pour autant nous dévoiler la vérité afin de questionner le spectateur sur la condition humaine, Ridley Scott, manifestement moins fûté que son illustre idole, tombe justement dans le piège que le maître japonais avait su éviter pour accoucher d'une des œuvres les plus fondamentales qui soient. En nous imposant une vérité, Ridley Scott torpille littéralement son propre film, reléguant les deux premiers chapitres à un simple rôle de remplissage permettant au cinéaste d'atteindre une fois de plus la non négligeable durée de 2h32 tout en prenant la pose avec un concept qu'il ne comprend ni ne maîtrise, avec cependant l'assurance de se voir porter aux nues par des critiques qui se moquent visiblement que l'on se foute de leurs gueules tant que le film abonde dans le sens de l'idéologie actuelle. Cette énorme erreur rend tout simplement la structure narrative du Dernier Duel absurde et injustifiée, privant au passage le spectateur de toute réflexion et de tout plaisir de déduction. Et s'il fallait une ultime preuve que Ridley Scott ne comprend pas son propre film, nous pourrions toujours nous poser la question suivante : De quelle vérité parle-t-il ? Cette version ne présente après tout que la vérité SELON Marguerites de Carrouges, il s'agit de SON point de vue, par conséquent, les versions de Jean de Carrouges ou Jacques Le Gris sont tout aussi valables dans la mesure où les deux hommes croient profondément en leurs versions des faits (Ex: Jacques Le Gris se défend jusqu'au bout d'avoir violée Marguerites car voit moins cette relation comme un viol que comme une preuve de son amour sincère pour cette dernière). Il n'y a pas qu'une seule vérité, mais trois, trois vérités selon trois points de vue différents, c'est pourquoi imposer une seule et unique vérité est tout simplement ridicule et preuve d'une totale incompréhension de la part du réalisateur. La narration en chapitre aurait été justifiée si seulement Ridley Scott avait pris soin de filmer le viol de Marguerites de Carrouges de différente manière selon les points de vue. Mais voilà, sans doute trop obnubilé par la recherche d’une vérité unique et dogmatique, Scott se prend à filmer le viol du point de vue des personnages d’Adam Driver et de Jodie Comer quasi-exactement de la même manière, ce qui pose un sérieux problème, car si le but du réalisateur est de jouer sur l’ambiguïté entre le vrai et le faux, la logique aurait voulu que le viol selon Jacques Le Gris soit montré comme une simple relation amoureuse entre personnes consentantes et non pas comme viol (certes légèrement édulcoré par rapport à la vision de Marguerites de Carrouges mais un viol tout de même). Cela nous aurait tout d’abord épargné la répétition de la même scène de viol dans les deux derniers chapitres et aurait surtout permis la mise en place de cette ambiguïté qui fait cruellement défaut au film. Malheureusement, même si Ridley Scott avait eu la présence d’esprit de procéder de la sorte, le tout aurait de toute manière été gâché par sa prétention à vouloir imposer une seule et unique vérité, chose qui, quand on y réfléchit bien, place Ridley Scott sur un pied d'égalité avec Dieu, censé faire triompher la vérité à travers la finalité du duel. Quelle prétention ! En somme, la structure narrative du Dernier Duel est tout bonnement inappropriée, tout au plus un énième prétentieux effet de style dépourvu de sens signé Ridley Scott. Car oui, vouloir refaire Rashomon n’est pas une une fin en soi, encore faut-il que cela ait du sens, or il me semble qu’il aurait été davantage cohérent de construire le film sur un schéma linéaire, certes plus classique mais aussi à mon sens plus approprié, en suivant le personnage de Jodie Comer, ce qui aurait permis au metteur en scène de "développer" tout autant ses personnages et surtout d’éviter de se fourvoyer avec une narration qu’il n’a vraisemblablement pas compris et ne maîtrise tout simplement pas.

2. La vérité sur les personnages et leur place dans la société médiévale ?

Le film tourne de manière incessante autour d’une notion en particulier : la vérité. Cette notion est omniprésente et notamment au début des trois chapitres dont se compose le film. Mais voilà, Ridley Scott ne précise à aucun moment de quelle vérité l’on parle. Bien évidemment, on a tout de suite envie de penser que la vérité en question concerne le viol de Marguerite. Mais est-ce pour autant le cas ? Et si la vérité dont Ridley Scott nous rabat les oreilles concernerait davantage les personnages en eux-mêmes, la manière dont ils se voient, ainsi que la place qu'ils occupent dans la société médiévale. Le Dernier Duel nous présente trois personnages : le premier est Jean de Carrouges, un chevalier avec une haute opinion de lui-même, se considérant comme un bon mari, aimable et attentionné, un homme valeureux, courageux et intelligent, bref, l’archétype parfait du chevalier de contes de fées. Ah ! J’allais oublier, Carrouges est également en froid avec le puissant Pierre d’Alençon. Le second personnage est Jacques Le Gris, un écuyer ami de Jean de Carrouges avec une toute aussi haute opinion de lui-même que son ami. Le Gris est instruit et sait le latin, il se prête des sentiments nobles, parle d’amour et se considère également comme un guerrier noble et courageux. Le Gris est également proche du seigneur Pierre d’Alençon qui en a fait son homme de confiance. Le dernier personnage est Marguerite de Carrouges, épouse de Jean de Carrouges. Dans les deux premiers chapitres, et ce à tour de rôles, les deux personnages masculins s’idéalisent. De fait, le principal intérêt du troisième chapitre est de mettre en avant la vérité sur ces deux personnages. En effet, plus que noble, valeureux, courageux, aimable, attentionné et intelligent, l’on découvre que Jean de Carrouges n’est en réalité qu’un être frustre, rancunier, violent, dominateur, envieux et idiot. Mais là où le film devient particulièrement intéressant, c’est dans le portrait qu’il dresse du personnage de Jacques Le Gris. Car si j’ai violemment jeté la pierre à Ridley Scott pour avoir trahi la profession de foi de son film afin de dépeindre les travers des personnages et surtout de Jacques Le Gris, voir le film sous un angle nouveau permet de comprendre l’idée que le cinéaste a potentiellement voulu transmettre. En effet, si Scott nous montre clairement Jacques Le Gris comme un collectionneur compulsif de jeunes femmes et surtout comme un violeur, ce n’est guère pour mettre en avant la dépravation du personnage mais bien pour rester fidèle à la vision que le personnage a de lui-même. Je m’explique. Durant tout le chapitre le concernant, Jacques Le Gris est intimement persuadé d’être un gentilhomme et surtout de ne rien faire de mal, y compris lorsqu’il s’adonne au viol de Marguerite de Carrouges. Pour lui, et il le défendra d’ailleurs jusqu’à la fin, il n’y a pas eu viol, mais seulement une relation adultère entre deux personnes qui s’aiment, ceci est d’ailleurs le seul motif qui le poussera à se confesser, preuve ultime qu’il n’a pas vu le moindre mal dans sa relation charnelle avec l’épouse de son ami. Voilà pourquoi Scott se contente de filmer le personnage comme un violeur et un dépravé, car pour ce dernier, il n’y a rien de mal à se comporter de la sorte avec les femmes.

Le film fait également le portrait d’une société médiévale très hiérarchisée où chacun tient une place bien précise. L’on découvre ainsi comment Jacques Le Gris, favoris du puissant et tout aussi dépravé Pierre d’Alençon s’affranchit de sa simple condition d’écuyer pour devenir un chevalier de poids auprès dudit seigneur, quand dans le même temps, Jean de Carrouges, en bon chevalier impulsif et pas bien malin voit sa puissance et son ascension sociale limitée car ne nourrissant guère de bonnes relations avec son suzerain. Pour Jean de Carrouges, le viol de sa femme représente ainsi une opportunité inespérée de se venger de son ancien ami Jacques Le Gris dont il ne supporte plus l’inexorable ascension. Ce qui nous mène tout naturellement au cas de Marguerite de Carrouges. Le Dernier Duel met en avant ce qu’était l’existence, conjugale et sociale d’une femme au Moyen-Âge. En effet, la tâche principale d’une femme à cette époque est de donner un héritier à son mari, qu’elle le veuille bien ou non, en ce sens, le film aborde clairement le sujet du viol conjugal. La femme sert également de vitrine, on lui fait prendre l’air pour les grandes occasions, on l’arbore à la manière d’un bijoux. De plus, l’on se rend compte, dès lors que le couple Carrouges se décide à traîner Jacques Le Gris devant les tribunaux, que l’affaire traitée est moins le viol d’une femme qu’une atteinte à la propriété privée de Jean de Carrouges. Pour autant, et c’est à mettre au crédit du film, Marguerite ne nous est pas montrée comme complètement asservie ou bonne qu’à faire des enfants, non, de manière tout à fait juste, Ridley Scott rétablit la vérité (la vérité encore et toujours) sur la place que tenait la femme dans la société médiévale. En effet, en l’absence de son mari, l’on découvre une Marguerite apte à prendre les rênes du domaine, chose qu’une épouse devait être en capacité de faire lorsque l’homme venait à s’absenter. Scott met en avant cette facette trop souvent occultée de la femme au Moyen-Âge, qui avait, tout comme les hommes, des responsabilités. Ainsi, le film me paraît tout à fait intéressant et sa structure narrative bien plus pertinente qu’elle ne pouvait en avoir l’air. Mais voilà, même si ce nouvel angle de vue permet d'éclaircir bien des choses, il n'est pas sans soulever de nouveaux problèmes. En effet, si l'objectif du film est bien de questionner la véritable identité des deux personnages masculins ainsi que la place que chaque protagoniste occupe dans la société médiévale, quelle est l'utilité de signifier au spectateur que la version de Marguerite est la vérité ultime ? Etant donné qu'il ne s'agit là de sa version à elle de faits la concernant. Marguerite étant logiquement absente de bien des situations présentées dans les deux premiers chapitres, sa vérité ne peut en rien être considérée comme LA vérité car elle ne permet pas de remettre en question l'ensemble de ce que le spectateur a pu voir des deux personnages masculins dans les deux premiers chapitres. De plus, si le point de vue de Marguerite nous en apprend davantage sur sa place réelle dans la société médiévale, elle ne remet jamais en cause ce que l'on sait déjà de Carrouges et Le Gris. En définitive, ce que Scott nous montre dans le troisième chapitre n'est pas LA vérité, celle qui ferait la lumière sur la réalité de chaque personnage, mais seulement la vérité du monde du point de vue de Marguerite, du point de vue d’une femme. Enfin, si l'on admet que la version de Marguerite est bel bien LA vérité quasi divine que tient à nous imposer le cinéaste (ce qu'à mon sens elle ne peut pas être), l'on remarque que cette dernière demeure le seul personnage du film à n'être jamais remis en question, ce qui n'est pas sans affecter la nuance au sujet du féminisme. En définitive, les hommes sont tous des salauds se donnant une noblesse et une importance qu'il n'ont pas, tandis que la femme, parfaite et vertueuse attend patiemment leur disparition pour enfin pouvoir vivre librement. Une morale profondément bête qui ne manquera pas de faire mousser les féministes les plus décérébrées. Ainsi, si cette seconde hypothèse peut paraître alléchante, elle se voit majoritairement invalidée par cette fameuse structure en chapitres que Scott ne comprend ni ne maîtrise.

Mais tentons d’oublier un temps soit peu les soucis de narration pour nous concentrer sur les personnages, car après tout, Le Dernier Duel est avant toute chose un film de personnages. Et bien là encore on ne peut guère dire que cela soit une réussite. Les personnages sont tous caricaturaux au possible et sans nuances : Marguerites de Carrouges n’est autre que le seul personnage digne et vertueux du film : elle est belle, forte, aimable, juste et soucieuse de ces sujets, dirige mieux le fief que son mari, bref cette femme a toutes les qualités et visiblement pas le moindre défaut. Face à elle, trois personnages masculins tous plus odieux les uns que les autres : Jean de Carrouges (son mari) nous est présenté comme un abruti violent et décérébré qui profite du viol de sa femme pour satisfaire une vengeance personnelle, Jacques Le Gris comme un personnage instruit mais surtout comme un affreux "libertin" (au passage je ne vois pas ce que ce terme apparu au XVIIIe siècle fait dans un film dont l’action se déroule au XIVe siècle) ne considérant les femmes que comme des objets de plaisir, et pour finir le personnage de Pierre d’Alençon n’est finalement rien d’autre qu’un mélange des deux, alliant l'idiotie du premier au goût pour le plaisir charnel du second. Trois personnages masculins sans nuances, enfermés dans des visions idéalisées d'eux-mêmes (ce qui, au passage, constitue à mon sens le seul véritable intérêt de la narration en chapitres). En somme, les hommes sont tous des ordures et la pauvre Marguerites fait ce qu’elle peut pour se faire entendre dans ce monde ultra-testostéroné où règne le patriarcat.

Autre problème prouvant que le film ne repose sur rien d’autre qu’une illusion de points de vue : la caméra inquisitrice de Scott. Je m’explique. Si un film prend le parti d’illustrer le point de vue d’un personnage, il doit s’y tenir coûte que coûte d’un bout à l’autre du film. Hors, ce n’est pas ce que fait Ridley Scott. En effet, à plusieurs reprise (en ce qui concerne les deux premiers chapitres bien sûr, dans lesquels Jean de Carrouges et Jacques Le Gris s'idéalisent comme jamais), l’on s’aperçoit que Scott ne peut s’empêcher de trahir le point de vue de ses personnages au lieu de s'en faire complice, la caméra devient par moments inquisitrice en se mettant à filmer de la manière la plus factuelle qui soit les agissements les plus discutables des personnages (Jacques Le Gris en particulier), la caméra juge les actions des personnages au lieu d’en être complice. Là encore, le jeu de points de vue tombe à l’eau. Mais voilà, eu égard à l'incompréhension quasi-métaphysique du bonhomme envers sa propre structure narrative, forcé de constater que ce bon Ridley ne pouvait guère faire autrement, car contrairement à Rashomon où l’action se déroulait essentiellement dans une clairière contenant la totalité des enjeux et des personnages, dans Le Dernier Duel, nos trois personnages sont régulièrement isolés dans leur coin, ce qui signifie que plusieurs scènes (Ex: passages chez Pierre d’Alençon dans la version de Jacques Le Gris ou la campagne en Ecosse contre les anglais dans celle de Jean de Carrouges) ne pourront jamais être contredites par le point de vue d’un autre personnage, or afin de mettre en évidence les facettes les plus sombres de ces personnages, Scott a besoin de contradiction, c'est pourquoi il se voit contraint de trahir la profession de foi de son film en acceptant, par moments, de ne plus filmer selon le point de vue du personnage. Ceci est particulièrement visible dans le chapitre consacré à la pseudo vérité selon le pseudo point de vue de Jacques Le Gris.

Autre gros point faible du film : la mise en scène. Je serais bref, le film ne comporte quasi aucune narration visuelle, la mise en scène est d'une affligeante pauvreté, suivant systématiquement à la lettre le schéma suivant : 1. Plan large (en CGI) sur une ville et son château, 2. Insert folklore local (Ex: un paysan s'occupe de ses animaux) et 3. Discussion en champ-contrechamp à la Kaamelott (avec faux raccords si possible).

En grand habitué des films historiques, Ridley Scott nous offre quelques séquences de batailles au demeurant moyennement bien filmées (comme d’habitude quoi, il n’y a qu’à regarder les scènes de batailles de Kingdom of Heaven pour comprendre ce que je veux dire), cela dit, les combats sont brutaux, hargneux, profondément bestiaux, on ressent le poids des armures, c’est viscéral, des purs combats médiévaux comme on se les imagines. Cela dit, s’il y a bien une scène qui reste dans les mémoires à la sortie du Dernier Duel, c’est bien la fameuse confrontation finale qui donne son nom au film. Et si le filmage de l'action ne me semble pas toujours maîtrisé, la rage qui se dégage de cette séquence la rend très efficace et marquante. Mais si ce duel demeure à n’en pas douter comme le point d’orgue du film, c'est moins grâce à sa mise en scène que grâce à la tension qui en émane. A vrai, ce n’est qu’à cet instant que le film m’a réellement happé, pour la première fois je pouvais ressentir un véritable enjeux, le sentiment que ce que je voyais n’était pas vain, n’était pas un simple effet de style gratuit, bref, que ça avait du sens. Mais voilà, d’où vient cette tension qui faisait jusqu’alors si cruellement défaut au film ? Elle vient tout simplement de la séquence précédant le duel, à savoir, le procès au cours duquel l’on apprend que le duel entre Jean de Carrouges et Jacques Le Gris aura bien lieu mais également qu’en cas de défaite de son mari, Marguerites de Carrouges finirait brûlée vive pour avoir menti devant Dieu. N’est-ce pas dommage d’apprendre cela à moins de dix minutes de la fin d’un film qui en compte 152 ? Malheureusement si. C’est d’autant plus dommage que cela aurait permis de faire naître un dilemme dans l’esprit de Marguerites : ne rien dire et vivre ou parler au péril de sa vie. Dilemme qui n’aurez rendu sa décision finale que plus courageuse et respectable tout en conférant au film une tension constante à la manière du Rebellion de Masaki Kobayashi.

Poursuivons avec une impression de déjà vu, à savoir la vision du Moyen- Âge par Ridley Scott. Car oui, pour ce dernier le Moyen- Âge est une période sombre, ce qui signifie que les protagonistes ne voient jamais le soleil, le temps est gris, le froid, le vent, la neige et la boue sont omniprésents, bref, au XIVe siècle dans l'esprit de Ridley Scott, on se les gèles joyeusement en toute saison. En cela, Le Dernier Duel semble être un prolongement des univers de Kingdom of Heaven ou Robin des bois auxquels il emprunte la même esthétique style Dark Ages. Une esthétique qui fait bien évidemment la part belle au sempiternel filtre bleu qui, en plus d'assombrir une image déjà bien froide, ne permet aucunement de mettre en valeur les magnifiques décors et costumes du film. Ah… les filtres, une des nombreuses maladies vénériennes du cinéma actuelle, trop souvent synonyme de cache misère ne servant, la plupart du temps, qu'à pallier à l'incapacité de la mise en scène à asseoir une quelconque atmosphère via un langage cinématographique qui se perd de plus en plus. Depuis quand le Moyen-Âge au cinéma doit-il être bleu, lugubre et froid ? Honnêtement je n'en ai aucune idée. Une chose est sûre, ce ne fut bien heureusement pas toujours le cas. Prenez par exemple ce chef-d'œuvre qu'est Braveheart de Mel Gibson, l'herbe est verte, le ciel est bleu, le soleil brille, et pourtant on y croit, car Gibson, loin de se fourvoyer dans une surenchère d'artifices inutiles, prend le temps de nous présenter le monde dans lequel évolue l'action, de nous imprégner de son atmosphère, et le résultat est là, Le Dernier Duel a beau être historiquement plus pointilleux que Braveheart, il n'empêche que je crois davantage au Moyen-Âge de Gibson, aussi fantaisiste soit-il, qu'à celui de Scott. Comprenons-nous bien, la photographie reste classieuse et le film parvient tout de même à nous plonger dans la période qu'il nous dépeint, en mettant notamment en avant plusieurs aspects de la vie au Moyen-Âge encore jamais ou rarement vus au cinéma (Ex: Entretien du domaine). Cela dit, il me semble qu’il serait grand temps de réinjecter un peu de réel dans tout cela et surtout de dire une bonne fois pour toutes à Ridley Scott que non, le monde n’était pas plus bleu au Moyen-Âge, que le soleil n’est pas apparu à la Renaissance et bien sûr que la Normandie ne se situe pas au delà du cercle polaire.

Car le pire dans tout cela, c'est que le film comporte, en contrepartie, un certains nombre de qualités notables, et notamment en ce qui concerne la dimension féministe du film. En effet, il n’est guère besoin de préciser que l’immense majorité des films qui se disent "féministes" tombent régulièrement dans la propagande bête et méchante sans subtilité aucune. Et je dois avouer avoir été agréablement surpris par la manière dont Scott aborde la question de la place de la femme dans la société médiévale. Le propos est en effet plutôt subtil tout en restant en accord avec l’époque dans laquelle se déroule l’action. Du moins, c'était mon ressenti avant que n'intervienne la scène finale. A mon grand étonnement, le filtre bleu disparaît, le ciel est enfin bleu, l'herbe est redevenue verte, le soleil aussi est au rendez-vous. Pourquoi ? Et bien tout simplement car, suite à la mort de son mari, Marguerite est devenue seule maîtresse du domaine de Carrouges où elle élève seule son enfant. Pour finir, un dernier carton nous apprend qu’elle refusera jusqu’à sa mort de se remarier. Ce final détruit à mes yeux toute la subtilité dont le film semblait faire preuve jusque-là. Avec cette dernière scène, Scott rabaisse ce récit à une simple lutte entre hommes et femmes en transmettant en filigrane le message suivant : Une femme n'est véritablement libre et heureuse qu'en l'absence des hommes. Encore une fois, Scott réduit tout son travail à néant avec un message final d'une bêtise abyssale qui, à mon sens, ne peut guère satisfaire que les féministes les plus forcenés.

Pour finir sur une note positive, notons que Ridley Scott joue tout de même à quelques reprises le jeu des points de vue (Ex: Un baiser, un regard, une parole est perçu de manière différente selon les points de vue), le film bénéficie également d'un casting de grande qualité, d'une très bonne BO de Harry Gregson-Williams (comme d'habitude) et de très beaux décors et costumes, malheureusement gâchés par le sempiternel filtre bleu du duo Scott/Wolski. Petit détail à mettre également au crédit du film : les nombreuses apparitions de la cathédrale Notre-Dame de Paris en construction, un clin d'œil bien senti aux incidents d'avril 2019.

Conclusion


Quel gâchis ! Quelque soit l’interprétation que l’on fait du film, forcé de constater que Ridley Scott se fourvoie avec une narration qu'il ne maîtrise pas, refusant par la même occasion au spectateur (qu'il semble prendre depuis quelques années pour un idiot) la moindre réflexion en cherchant à imposer dogmatiquement sa vérité. Scott sacrifie sur l'hôtel de l'effet de style un projet qui aurait pu s'avérer très intéressant s'il avait été confié à un réalisateur intelligent. Ajoutez à cela des personnages caricaturaux, une mise en scène digne d’un téléfilm du samedi soir sur M6 et un cruel manque d'enjeux et vous voilà en présence d'un énième film raté de Sir Ridley Scott. Bref, maladroit, malhonnête, prétentieux, peut-être est-ce cela, après tout, le nouveau style Ridley Scott.

Antonin-L
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le 27 juin 2023

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