Le triangle des coutures

Pour reconnaître la qualité d’un tissu, il faut d’abord en apprécier la sensualité. Voilà ce que professe Halim dans l’échoppe qu’il tient avec sa femme Mina à Salé au Maroc, garant d’un artisanat traditionnel et minutieux de couture à la main. À rebours de la production industrielle de vêtements, celui qui est considéré comme un maalem - un maître-artisan - fait de chaque vêtement fabriqué une œuvre d’art. Mais pour tenir les délais de ses clients exigeants, Halim et Mina doivent engager le jeune Youssef. Au rythme des aiguilles et des effleurements, Halim, dont l’homosexualité n’est pas un secret pour sa femme, atteinte d’un lourd cancer, noue une relation silencieuse avec son jeune apprenti. Entre la résignation face à la mort qui contemple Mina et le refus d’abandonner leur mariage avant l’heure, le triangle d’artisans reste suspendu au fil d’or que doit arborer un sublime caftan. Malgré la beauté incommensurable des tissus déployés, des doigts et visages absorbés par le travail d’orfèvre, et le brillant jeu tout en retenue de Lubna Azabal et Saleh Bakri, le film de Maryam Touzani languit à mesure que la tunique bleu pétrole prend forme dans le silence écrasant de la boutique, jusqu’à ce que la douleur intime de la femme condamnée et de l’homme contraint s’estompe dans l’indifférence.