C’est une anecdote presque plus connue que le film lui-même : Fellini détestait le personnage de Casanova, qu’il trouvait grossier et ennuyant. La petite histoire va même jusqu’aux nombreux conflits qui s’engagèrent avec ses producteurs, ces derniers plébiscitant une version plus spectaculaire et académique, mettant en scène un Casanova beau, charmant et séducteur, alors que la finalité de Fellini était (très logiquement) de déconstruire le mythe. Qui remporta la bataille ? Le titre, Le Casanova de Fellini, laisse entrevoir les deux possibilités : d’un côté cette évidence marketing d’aller jusqu’à placer le nom du réalisateur dans le titre, et de l’autre la franchise presque railleuse de souligner un peu lourdement que l’on n’est pas face à une hagiographie – s’il existait un évangile selon Ponce Pilate, peut-être ressemblerait-elle d’ailleurs à ce Casanova.


Casanova, selon Fellini, est un bien triste personnage : loin du fantasme, loin du mythe sexuel, un Donald Sutherland aux traits fardés, puant le mensonge et l’hypocrisie, blanchâtre et désobligeant, grossier et prétentieux. Il va jusqu’à cacher sa laideur sous de la poudre qui lui donne des faux airs de cadavre – de par son apparence, de par son attitude, Fellini donne sa définition de Casanova : c’est une illusion. Ses conquêtes ? Des robots ou des maritornes, qu’il évoque comme des statistiques. Son sport, c’est la manipulation – et le sexe. Ses coups d’un soir sont grotesques, ses amour(ette)s ubuesques.
Casanova ère, presque abandonné, dans cette Europe-épave en pleine décadence, dont il est finalement le produit sec, défectueux ; un pantin désartibulé sans quête de sens puisqu’il ne se remet jamais en question. Navigant d’une orgie à une autre, d’un palais putride à une princesse faisandée, c’est un finalement un autre portrait qu’il dresse – celui d’une société qui a appris à l’admirer, à l’immortaliser en célébrité de l’inutile, en ambassadeur du vide.


Sans adorateurs, pas d’icône. La vraie charge que porte Fellini, elle n’est donc pas envers Casanova. Au fond, il n’est presque pas le héros de son propre film : il n’y est souvent qu’un fantôme, s’éclipsant derrière le carnaval de masques, de perruques, de décors et de costumes qui font de ce drôle de chef d’œuvre un monument de la démesure parfaitement fellinien qui, en lecteur attentif de la société italienne, la remet face à ses paradoxes. Comment prétendre aimer les femmes lorsqu’on est machiste ? A quoi bon lister ses triomphes quand on ne peut plus assumer son propre visage ? Que reste-t-il à la décadence sinon la luxure ? La réponse attendue, inaudible, finit comme son personnage : à l’agonie, nostalgique d’illusions malsaines, obsédé par sa propre image. Un épilogue parachevant la légende devenue tragédie : qui est donc ce vieillard livide, évidé de sa propre nature.

Vivienn
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Films (re)vus en 2019

Créée

le 21 juin 2020

Critique lue 437 fois

8 j'aime

Vivienn

Écrit par

Critique lue 437 fois

8

D'autres avis sur Le Casanova de Fellini

Le Casanova de Fellini
Trelkovsky-
10

Désarticulé

Quand le grand Federico Fellini s'empare du personnage emblématique de Casanova ... Le maestro laisse plus que jamais exploser son inventivité et son génie et nous raconte, à sa manière, la...

le 8 janv. 2013

19 j'aime

1

Le Casanova de Fellini
Docteur_Jivago
3

La Farce de maître Fellini

C'est en plein XVIIIème que Federico Fellini nous envoie une fois le remarquable Amarcord terminé, pour mettre en scène l'histoire de Casanova et ses diverses aventures, oscillant entre glamours et...

le 13 juil. 2017

16 j'aime

Le Casanova de Fellini
Bestiol
4

Portrait à charge

Une immense bouffonnade retraçant en scènettes sans queue ni tête (ou plutôt sans tête et avec de moins en moins de queue) la vie de Casanova. Mon compère de visionnage m’informe que Fellini voulait...

le 16 déc. 2012

13 j'aime

Du même critique

Mr. Robot
Vivienn
10

Whitehat

USA Network n’a pas vraiment le pedigree d’une HBO ou d’une Showtime. Avec son audience vieillissante et ses séries sans prises de têtes, on peut dire que Mr. Robot ressemble à une anomalie dans la...

le 4 sept. 2015

272 j'aime

16

Avengers - L'ère d'Ultron
Vivienn
3

Nos héros

Le nouveau film MCU biannuel est donc le très attendu Avengers 2 – et encore, c’est un euphémisme. Après un premier volet (ou était-ce le sixième ?) globalement maîtrisé dans le style Marvel Disney,...

le 22 avr. 2015

228 j'aime

32

Stranger Things
Vivienn
4

Stand By Us

Dès sa longue introduction et son générique, Stranger Things donne le ton : on connaît cette musique, ces geeks à vélo et cette incursion du surnaturel dans le quotidien d’une campagne américaine. La...

le 15 juil. 2016

195 j'aime

19