Petit film de SF dépressif qui ne manque pas d’intérêt, son contexte de guerre froide étant la petite touche d’originalité qui permet à son fond d’anticipation dépressif de s’inscrire avec fracas dans un réel historique. Le thème de l’intelligence artificielle se retournant contre son créateur a été maintes et maintes fois exploité à l’écran, mais « The Forbin project » a cette particularité de jouer le jeu jusqu’au bout, sans penser une seule seconde à nuancer son propos.

Joseph Sargent opte en effet pour l’approche fataliste et s’y tient, allant jusqu’à banaliser le genre humain. Finalement, dans son film, aucun homme, ni aucune femme, ne prend l’ascendant, et même ce scientifique qui monopolise le cadre, ce créateur débrouillard et intelligent qui parait être le seul apte à renverser la vapeur, n’est que fadeur impuissante face au Colosse clairvoyant qu’il a mis au point. Dépressives 70 obligent, la fin épouse complètement cette noire dynamique jusqu’à se faire le bruyant écho d’un marteau peu clément qui enfonce le clou d’une thèse presque misanthrope.

Mais qu’on ne s’y trompe pas, si le fond de son film est profondément alarmiste, il est accompagné par un sens de l’ironie qui permet à Joseph Sargent de ne pas sombrer dans la démonstration facile. Chaque duel entre le Colosseus électronique et son papa physicien est l’occasion pour le cinéaste de mettre en place des petites scénettes amusantes, dans toute la dernière partie notamment, où l’ironie grinçante se substitue à la violence farouche dont a abusé la machine pour imposer son autorité. C’est aussi par l’intermédiaire d’une bande son quelque peu en décalage avec la froideur des images qu’elle accompagne, que le cinéaste tempère son propos dystopique.

Plus qu’une simple œuvre d’anticipation, The Forbin project est une mise en abîme intéressante de nos sociétés modernes. Celles qui assurent œuvrer pour la sécurité de leurs citoyens en déployant des systèmes de défense capables du pire. Systèmes placés sous la houlette d’un preneur de décision qui n’est pas infaillible puisqu’humain.
En jouant avec la notion très subjective de l’émotion, Joseph Sargent s’amuse à déconstruire l’homme et ses convictions les plus profondes, pour poser la question qui fâche : qui de ces êtres soumis aux caprices de la subjectivité ou de cette machine régie par les lois de la logique mathématique est le plus à même de décider de la conduite à suivre pour aspirer à un futur qui a tout d’une parfaite utopie ? Vaste programme que propose avec énergie ce petit film stimulant, qui a certes bien vieilli dans son imagerie et qui est parfois un peu limité par sa réalisation fonctionnelle, mais qui ne démérite jamais lorsqu’il s’agit de placer l’homme face à ses paradoxes.
oso
7
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le 5 déc. 2014

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