Le Chat est un film de 1971 réalisé par Pierre Granier-Deferre qui adapte ici le roman éponyme de Georges Simenon datant de 1967. Le film permet surtout la confrontation de deux monstres sacrés du cinéma français avec Jean Gabin et Simone Signoret qui tout deux recevront d'ailleurs un ours d'argent à Berlin pour leur interprétation.


Le chat c'est l'histoire de Julien et Clémence Bouin, un couple marié depuis 25 ans qui tente tant bien que mal de continuer à vivre ensemble malgré l'usure du temps. Au fond d'une impasse et dans ce petit pavillon de banlieue voué à disparaître Julien et Clémence s'observent, se déchirent, se supportent et se détestent surtout lorsque un chat vient cristalliser la tendresse mélancolique de Julien et le désespoir de l'abandon de Clémence...


Dès le générique de début et en quelques minutes seulement le film plante le décor mélancolique d'une banlieue parisienne qui s'effondre en proie aux profonds changements de la modernité . Rideaux de fer baissés, pavillons en ruines, chantier faisant se dresser d'immense tours de béton et d'acier ; on suit une sirène d'ambulance qui nous conduit dans l'urgence jusqu'à une impasse dans laquelle se dresse fantomatique un petit pavillon qui semblent encore épargné par le temps. Avec cette brillante entrée en matière Pierre Granier-Deferre synthétise déjà presque toute les thématiques de son film comme l'usure du temps, l'impasse, l'effondrement, l'obstination à rester debout et l'imminence d'un drame comme une sirène qui court anonyme dans la ville.


Le chat raconte donc la confrontation d'un couple que le temps a fini par inexorablement séparé jusqu'à l'anonymat et l'indifférence. Le film débute en nous montrant que dans ce petit pavillon de banlieue Julien et Clémence sont devenus des étrangers qui vivent ensemble mais séparément ; chacun sa table, chacun son lit, chacun son repas, chacun son placard , chacun sa profonde solitude... Les silences sont pesants, les regards en disent long, les gestes trahissent autant l'énervement à se supporter que les habitudes à vivre ensemble. Le film va alors nous transporter dans une série de flashbacks dont certains ressembleront aux fantômes vaporeux d'un amour défunt alors que d'autres plus longs et réalistes poseront les solides fondations de ces amours mortes. Les deux amoureux n'ont pas attendu les silences pour ne plus se parler, avant déjà il ne s'écoutaient presque plus et se lançaient aux visages les pires reproches et invectives à l'image de cette scène monstrueuse dans la cave durant laquelle ils déchirent à coup de mots tranchant comme des scalpels notamment lorsque Julien reproche comme un gros mufle à clémence sa déchéance physique « Si tu voyais ta gueule t'es pas belle à voir – Tu dégringoles un peu plus tous les jours »... et que Clémence lui hurle « Vielle vache » à la figure et les larmes au yeux. Le film montre froidement que le temps détruit tout et qu'il a fait de Julien un homme froid, indifférent, presque blasé par l'inexorable décompte d'une vie qui tire à sa fin alors que Clémence reste déchirée par l'indifférence, le poids mort du désamour et la solitude. L'amour prend alors la dimension d'une malédiction magnifique pour ce couple qui n'arrive plus à vivre ensemble mais qui par convenance, par habitude par lassitude mais aussi parce qu'il reste tout au fond une intime et infime flamme de tendresse, ne parviendra jamais à se séparer …


Jean Gabin et Simone Signoret sont tous les deux absolument magnifiques que ce soit dans leurs confrontations direct ou dans leurs silences. Simone Signoret est particulièrement touchante et l'espace de plusieurs scènes elle nous offre de bouleversants moments de cinéma comme cette extraordinaire jeu de regards emplis de contradiction lorsque Julien cherche dans la maison le chat qu'elle vient d'abandonner au supermarché. Impossible de ne pas craquer aussi devant cette scène durant laquelle elle regarde en larmes les petits bouts papiers avec les mots que son Mari lui écrit depuis qu'il a juré de ne plus jamais lui adresser la parole... Concernant Jean Gabin son personnage est bien moins expansif, c'est même toute cette intériorité mélancolique cette froide distance résignée qui rend folle de désespoir Clémence. Le comédien est une nouvelle fois remarquable de charisme et ses regards désabusés sur le monde qui s’écroule autour de lui sont profondément touchants et pétris d'humanité. Tout en silence et en non dit le comédien est lui aussi remarquable comme lorsqu'il s'inquiète et tente discrètement de prendre des nouvelles de Clémence après leur courte séparation. Il faut aussi saluer la pétillante interprétation de Annie Cordy en généreuse tenancière de bordel.


Si le mise en scène de Pierre Granier-Deferre insiste parfois un peu trop souvent sur la symbolique de ce quartier en démolition elle offre aussi le temps d'une double séquence des moments d'une très grande intensité dramatique. Après la mort du chat jeté dans la poubelle, le film nous montre la lente progression d'un camion de ramassage des ordures escorté par quelques ouvriers …. Cette scène sera reprise plus tard avec Julien (Jean Gabin ) à sa fenêtre les yeux embués de larmes regardant s'avancer comme une immense et massif corbillard ce camion noir symbole de la fin de toutes les choses périssables comme les quartiers populaires, les amours et les vies. La scène a presque quelque chose de fantastique et de terrifiant.


Le chat est un film magnifique que j'ai vu des dizaines de fois et qui à chaque fois me cueille toujours de la même froide émotion. Le film porte en lui une telle mélancolie, une telle nostalgie d'un passé inexorablement jeté aux ordures qu'il me donne envie de me tenir au carreau de ma fenêtre le regard perdu en espérant que le camion de ramassage des souvenirs perdus soit encore très loin, très très loin au bout de la route.

freddyK
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le 4 janv. 2020

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Freddy K

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