Performance bouleversante

Rythmé par le bruit infernal des pelleteuses et des boules de démolition, ce film de Pierre Granier-Deferre n’a rien perdu de sa force, bien au contraire. Cette adaptation du roman de Georges Simenon est d’une absolue noirceur et d’un pessimisme abyssal que l’on n'imaginerait pas aujourd’hui dans un film commercial mettant en scène deux des plus grandes stars de l'époque. Si Gabin, dont ce fut l’un des derniers grands rôles, n’a pas besoin d’en rajouter beaucoup pour donner à son personnage de vieillard aigri et frustré une exceptionnelle dimension tragique, Signoret semble avoir puisé tout au fond d’elle-même pour incarner cette femme blessée physiquement et moralement qui soigne ses douleurs à grands coups de rhum de cuisine. Malgré quelques flash-backs «romantiques» totalement inutiles et l’une ou l’autre maladresse de montage (notamment les inserts du félidé dont on voit bien qu’ils n’ont pas été filmés dans la continuité de l’action), Le chat prend aux tripes grâce à la performance bouleversante de ces deux monstres sacrés du cinéma français. Et le contraste est saisissant entre le brouhaha incessant des chantiers et le silence de mort qui règne dans l’univers vétuste de ce couple empoisonné par la haine et le ressentiment. Cet aspect documentaire du film n’est pas sans rappeler Marco Ferreri qui tournera trois ans plus tard Touche pas à la femme blanche dans le trou du chantier parisien des Halles, autre témoignage ahurissant du saccage forcené du patrimoine par l’urbanisme moderne.