La Nunsploitation est un terme englobant un mouvement dans le cinéma d'exploitation mettant en scène (comme l'annonce littéralement son nom) des nonnes. Ce genre cinématographique tel que nous le connaissons aujourd'hui fit son apparition durant les années 1970 (âge d'or pour le cinéma d'exploitation en général), mais certaines oeuvres comme Le Narcisse Noir (1947) exploitaient déjà les prémices des concepts que nous retrouverons plus tard. C'est avec le chef-d'oeuvre du cinéaste anglais Ken Russel, Les Diables, sorti en 1971 que cela prendra de l'ampleur. Le film créa un scandale sans précédent, mais pour en savoir plus je vous invite à (re)lire mon retour sur ce métrage précis ici : https://www.senscritique.com/film/Les_Diables/critique/169207439
La Nunsploitation peut donc signer son acte de naissance avec le film de Russel et se caractérise alors par divers concepts qui termineront de rendre ce genre unique et culte.
Pour résumer, les récits nous content généralement la vie d'une ou plusieurs nonnes vivants dans un couvent et pratiquant leur dévotion à Dieu. Un élément extérieur ou intérieur au lieu fera donc son apparition afin de mettre à défi leur volonté de chasteté. Nous constaterons un retour de l'inquisition et de la peur des représailles. Ces oeuvres parlent donc, de façon plus générale, de la frustration sexuelle de ces femmes dues à la croyance divine. L'esthétique visuelle est bien souvent très travaillée et si certains de métrages composants ce genre peuvent aujourd'hui faire rire, il n'en reste pas moins quelques films extraordinaires et fascinants. Nous nous retrouvons souvent entre les thématiques de la libération sexuelle et de l'érotisme, offrant dès lors des oeuvres cultes et définitivement bis.


Le Couvent de la bête sacrée est sans aucun doute l'un des titres les plus réussi de ce genre malheureusement peu connu. Il absorbe à merveille les principes du film de nonne tout en le menant à la fusion avec le roman pornographique japonais, aussi appelé le Pinku Eiga. L'érotisme est ici fortement marqué, cela peut-être du à la révolution sexuelle d'époque ainsi qu'aux images à caractères sexuels bien plus marquées et explicites dans la culture japonaise.
Le récit (sans aucun spoiler histoire de vous permettre de découvrir cette oeuvre de la plus belle des manières) qui nous est présenté est le suivant :
"La jeune et belle Mayumi (Yumi Takigawa, actrice culte au Japon) décide de rentrer dans les ordres et intègre un couvent catholique. Dans un climat de répression et de suspicion, Mayumi mène l'enquête sur la mort de sa mère qui fut une nonne du couvent. Peuplée de jeunes filles bravant les interdits, l'institution est dominée par une mère supérieure et un révérend père adeptes de supplices punitifs."


Dès ce rapide coup d'oeil sur le synopsis, vous constaterez que nous sommes totalement immergés dans le genre du film de nonne. Cette oeuvre est signée par le cinéaste Norifumi Susuki, cet artiste sublime ses plans et offre un long-métrage unique et immédiatement identifiable par le spectateur. Le réalisateur n’hésite pas à travailler chaque plan et ambiance à travers des angles de caméra précis. Le Couvent de la bête sacrée lorgne entre plusieurs styles et genres et se rapproche également du genre giallo dans sa démarche. Les couleurs et éclairages y sont explicitement liés, ainsi que la manière qu'à le réalisateur de sublimer la violence dans chaque plan. Nous pourrions citer en exemple la célèbre scène du film où le personnage principal se fait attacher avec des ronces et flageller au ralenti à l'aide de roses par les autres nonnes. Cette séquence est sans aucun doute la plus réussie et la plus marquante du métrage, proposant une aura presque poétique par instants.
Norifumi Susuki embrasse la violence en la sublimant et en la rendant tout simplement "belle" à l'écran. Son objectif et avant tout de montrer et dénoncer les multiples tortures dont sont victimes ces femmes dans les couvents. Le cinéaste offre une vision de ces nonnes prises aux pièges de leurs principes cléricaux, mais se retrouvant presque paradoxalement forcées de braver les interdits du fait de leur frustration. Elle semblent vivre dans une maison de correction et non dans un lieu de havre divin, ces nonnes sont à assimiler à des adolescentes maladroites se cachant pour boire ou fumer.


Finalement, si l'occident possède nombre d'interdit et retenues filmiques, les Japonais, eux, sont dans une recherche constante des limites de la violence et des tabous dans l'art. Le cinéaste ne cherche pas la demi-mesure et sait ce que le spectateur d'époque veut venir admirer. Susuki évite cependant le surplus de cette dite violence, celle-ci restera toujours secondaire et n'empêche pas le bon déroulement du récit. Beaucoup d'oeuvres du cinéma d'exploitation peuvent sembler (pour les novices du genre comme pour les adeptes) lourdes et lentes à visionner, mais ce n'est pas le cas ici. Nous sommes bien devant une perle de cinéma bis maîtrisée de bout en bout et ne laissant pas le public perdre l'attention de l'écran.


Cette oeuvre s'intéresse assez inévitablement sur les fondements de la croyance chrétienne et sur les excès que cela comporte. Cela fait parfaitement sens avec cette révolution sexuelle de l'époque de la sortie du film et de la libération des interdits. On y retrouve également des thématiques sadomasochistes et du fétichisme sexuel comme religieux. Le Couvent de la bête sacrée pose nombre de questionnement sur le rapport au christ et les significations que cela aura engendré. Pourquoi ces femmes subissent des punitions sexuelles comme physiques aussi cruelles ? Le thème de la vengeance fera également son apparition au sein de l'oeuvre avec le personnage du révérend conçu volontairement comme un sosie du terrible Raspoutine, mais je n'en dirai pas plus afin de vous laisser la surprise intacte. Même si le film adopte un regard asiatique, le découvrir avec notre mentalité européenne le rend, à mon sens, encore plus intéressant à assimiler. L'approche japonaise est probablement l'un des éléments responsables ce qui fait la réussite et la spécificité du film.


Le Couvent de la bête sacrée reste, à mon sens, l'une des plus belles réussites de la Nunsploitation dont il est compliqué de parler sans en révéler l'intrigue. Norifumi Susuki nous livre une oeuvre profonde étant bien plus forte qu'une simple parade érotique. Le cinéaste offre à travers ses thématiques, son point de vue et sa mise en scène un film toujours terriblement actuel, questionnant les principes chrétiens ainsi que la frustration des interdits. Les décors (un régal pour les yeux), costumes et prestations d'acteurs subliment le métrage. Il s'agit d'une oeuvre dense et riche se permettant beaucoup d'excès, mais restant juste. Une oeuvre hallucinante restant, selon moi, malheureusement fort peu connue et qui pourtant s'avère renversante dès son premier visionnage.

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le 7 mai 2020

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