Les Diables est sans aucun doute l'un des produits cinématographiques les plus controversés de tous les temps. L'ennemi juré de la société de production Warner Bros mérite-t-il autant de haine et de mépris ? Un tel moment de cinéma peut-il être étouffé près de 50 années après sa sortie dans les salles obscures ?


Ken Russel est un cinéaste anglais décédé en 2011. Il est principalement connu pour des longs-métrages comme Au-delà du réel (que je vous conseille également grandement) ou bien encore la comédie musicale hippie : Tommy. Il peut être vu comme un "enfant terrible" du cinéma britannique. Le cinéaste restera surtout célèbre auprès de la sphère cinéphile pour  Les Diables qui, encore aujourd'hui, se dévoile comme un sujet fascinant dans le milieu du cinéma tant il est à la fois peu connu du grand public, mais conserve cependant une réputation sulfureuse. Ce qui suit tiendra plus de l'explication des problèmes autour du film plutôt qu'une véritable critique.


Les longs-métrages qualifiés de choquant ou films à scandales peuplent le milieu du Cinéma depuis la nuit des temps et ce dans toutes les cultures. Parmi ces oeuvres cinématographiques "à problèmes", il suffit de regarder toutes les listes existantes sur le sujet, les avis ou bien encore les livres pour constater que ce sont souvent les mêmes films qui reviennent régulièrement :
Orange Mécanique (1971), Salò ou les 120 Journées de Sodome (1975), L'Empire des Sens (1976), Caligula (1979), Lolita (1962), Les Chiens de pailles (1971), Tueurs Nés (1994), La Grande bouffe (1973), La dernière tentation du Christ(1988), Cannibal Holocaust (1980), Massacre à la Tronçonneuse (1974),...
Vous constaterez que c'est bien souvent lorsque l'on mêle : la violence, le sexe, la politique et la religion que le mot scandale est prononcé. La violence étant rarement l'unique moteur faisant qu'un film se fait censurer (Orange Mécanique, Salò ou les 120 Journées de Sodome, L'exorciste*,...). La Warner Bros a produit L'Exorciste (1973) et Orange Mécanique (1971, même année que Les Diables donc) mais également un troisième métrage dont peu de gens parlent à cause de la volonté de la société de production à vouloir l'étouffer, il s'agit donc du fameux Les Diables de Ken Russel.


Si l'on regarde à travers l'Histoire ce qui constitue un film à scandale, nous constaterons que l'oeuvre et la personnalité volontairement provocatrice de Ken Russel s'y prête parfaitement. À vrai dire, le long-métrage fait figure encore aujourd'hui (près de 50 ans plus tard je le rappelle) de sujet tabou au sein de la censure anglaise et américaine. Le film est pourtant une réussite cinématographique indéniable et difficilement critiquable. Il est ahurissant de constater que de nos jours une telle oeuvre puisse toujours terrifier à ce point certains producteurs ou directeurs de censure.


Le résumé pose déjà quelques bases sur les sujets pouvant à l'époque mener à la censure et les coupes de montage :
"En 1634, la France est sous le règne du roi Louis XIII, cependant le pouvoir est en réalité entre les mains du cardinal Richelieu. Dans une petite ville du nom de Loudun, l’Abbé Grandier refuse de se soumettre à cette dictature et a bien l’intention d’organiser la résistance du peuple. Cependant, Grandier est aussi un séducteur et il est le fruit des fantasmes érotiques de la Mère Jeanne qui dirige le couvent des Ursulines."
Déjà ici les bases sont posées, la fusion de la politique et la religion ne font pas bon ménage dans le domaine de la censure.


Le long-métrage a été interdit dans énormément de pays, classé comme pornographique dans certains même. Certes, le film comporte des séquences parfois explicites et renversantes sur plusieurs plans mais rien qui ne justifie un tel acharnement de la sorte. Les deux acteurs principaux (Oliver Reed et Vanessa Redgrave) ont même été à l'époque interdits de présence sur le territoire italien. Le long-métrage a subi une censure énorme si bien que 4 versions/4 montages différents existent. Certaines séquences comme la scène appelée "Le Viol du Christ" (ceux ayant vu le film sauront de quoi je parle, les autres seront peut-être intéressés par cette simple évocation) furent même perdues à l'époque. C'est finalement en 2002 que le critique de cinéma anglais Marc Kermode (également grand défenseur du film) a réussi à retrouver les fameuses séquences perdues. À ce moment les fans de l'oeuvre de Ken Russel du monde entier vont en fait espérer pouvoir enfin avoir accès à une version intégrale (que cela soit au cinéma ou sur format physique). Un montage non censuré intégrale vu finalement le jour avec l'aide de Ken Russel en personne. Cependant la Warner, toujours détentrice des droits, empêche cette fois encore toute diffusion d'une quelconque version non conforme à la censure de l'époque . Une séance non officielle a été projetée courant des années 2000 en présence du réalisateur mais finalement il n'existe aucun DVD intégral pour ce film.


Pour anecdote le film est sorti en version non intégrale en VHS, a eu une sortie DVD intégral en 2008 annulée et a été une fois disponible sur la plateforme Itunes (durant 3 jours avant que la Warner le supprime purement et simplement). C'est finalement en 2012 qu'un DVD sera édité en Angleterre mais il s'agira de la version jugée comme pornographique et donc ne proposant pas l'intégralité du film (sachant que la version intégrale validée par le cinéaste atteint normalement les 117 minutes au total). Même le documentaire intitulé Hell On Earth, proposant un retour sur la production compliquée du film et présent sur le second disque subi des coupes c'est pour dire dire l'acharnement de Warner à ne pas vouloir sortir ce film aux yeux du grand public. Le film a été projeté en 2018 à Paris lors d'une carte blanche et le film était encore une fois la version censurée par Warner. Pourtant le film est une réussite cinématographique indiscutable, et ce à pratiquement tous les niveaux.


Les Diables est selon moi un chef d'oeuvre, un long-métrage maîtrisé de bout en bout. Que ce soit dans les décors magnifiques et vertigineux de Loudun, Oliver Reed et Vanessa Redgrave transcende l'écran et la réalisation de Russel est impériale et pratiquement inattaquable. L'enfant terrible du cinéma anglais nous offre un monument de cinéma qu'il serait bon de voir remis en avant aujourd'hui tant sa réussite est totale. En plus d'être responsable d'avoir lancé le mouvement de la "Nunsploitation" en 1971, ce film a influencé beaucoup de cinéastes. Dans ce domaine d'exploitation. Je vous conseille également grandement Le Couvent de la Bête Sacrée qui est également une pépite, mais n'atteignant tout de même pas le prestige de Les Diables (soyons honnête les deux oeuvres sont aussi très différentes).


Prions donc à nouveau pour que la Warner soit enfin ouverte d'esprit et compréhensive. Il est aujourd'hui très compliqué de trouver la version intégrale même en téléchargement. Offrez-nous enfin la version intégrale de cette oeuvre cinématographique en format physique et intégrale afin de profiter pleinement du travail d'un cinéaste et d'une équipe absolument formidable. Le film reste dans le traitement de ses thématiques et sujets terriblement d'actualité, d'autant que les faits relatés sont assez proches des réalités historiques. Le cinéaste maîtrise son long-métrage et les concepts abordés tout en assumant son côté outrancier et provocateur. Même si le visionnage demande un certain baguage cinématographique et un mental solide, il s'agit à mon sens de l'un des plus grands films de l'Histoire du Cinéma. Je vous encourage grandement à découvrir ce long-métrage dans les mesures du possible en version intégrale non censurée.



  • Texte m'ayant servi de présentation lors d'une projection au ciné-club Nickelodéon (Liège) -

Créée

le 22 févr. 2020

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