Avez-vous déjà eu l'impression qu'un film avait été pensé, réalisé uniquement pour vous, un peu comme si le Père Noël du cinématographe avait répondu positivement à la lettre que vous lui aviez secrètement envoyée ?

L'histoire est simple. Un jour, il y a bien longtemps puisque j'étais encore adolescent, je tombe dans un obscur festival sur "Walkower" et "Deep end" (1) de Jerzy Skolimowski. Tomber est le terme adéquat tant je mettrai du temps à me remettre de ce choc. Je découvre alors l'existence dans la filmographie du polonais ce "Départ". A l'époque, inutile de dire que les informations (de tout ordre) ne s'obtenaient pas comme aujourd'hui et je resterai donc pendant longtemps avec seulement une vague idée de ce que serait ce film. Jean-Pierre Léaud, Nouvelle Vague, Skolimowski... Bien peu de choses mais tellement excitantes que le temps passant, glanant une pièce du puzzle par-ci par-là, mon petit cerveau malade va construire ce film invisible.

Les années passeront, mes illusions de voir un jour ce film autrement que dans ma tête avec... Et soudain, l'année dernière, suite à la sortie en salles de "Essential killing", Skolimowski se voit soudain ressuscité et on annonce les reprises de "Deep end" et du "Départ". Le petit provincial que je suis aura beau prier des nuits durant, se flageller avec des ronces, rien n'y fera et ces si désirées copies neuves ne parviendront jamais jusqu'à ma si belle région. La frustration est à son comble, mais ma volonté de mettre la main sur ce film aussi...

Maintenant que je te tiens enfin, notre rencontre doit se faire sans que rien ni personne ne puissent venir gâcher ce moment. Le visionnage aura donc lieu la nuit, quand tout s'éteint...

J'avoue ma fébrilité au moment de vérité. Tant d'attente, d'espoir peuvent s'écrouler en à peine 90 minutes... Ne devrais-je pas plutôt rester avec "Le Départ made in my brain" ? Mais risque et cinéma étant selon moi indissociables, c'est parti...

Je ne vous retrouve finalement que 180 minutes plus tard... Le choc, la magie de la rencontre a été telle que je n'ai rien pu faire d'autre que de doubler le plaisir. Il y a parfois des rapports à l'art qui s'apparentent à des rapports charnels et qui n'a jamais remis le couvert me jette la première pierre.

Pour en revenir au début de ce billet, qu'on arrête de nous prendre pour des buses, le Père Noël existe bien, et il est donc polonais. Sans renier la singularité de son cinéma, Skolimowski s'est fait plaisir en provoquant la rencontre entre Michel Poiccard et Tati. Il y a dans ce geste artistique profondément émouvant un refus de voir mourir ces gosses insolents de la Nouvelle Vague, et le mélange entre nostalgie et burlesque font de ce film une bombe qui vous fait passer du rire aux larmes de façon presque frénétique, à tel point que les deux s'entremêlent parfois. Et il y a Jean-Pierre Léaud qui crie, vole, rit, donne, se donne tout entier et vampirise la pellicule, grandiose, en totale liberté.

Liberté, le mot qui résume le mieux ce film. A moins qu'il ne s'agisse de générosité, d'une générosité si débordante qu'elle empêche Skolimowski de choisir... En cela, la musique du grand Krzysztof Komeda (2) est extrêmement représentative : classicisme à la Delerue, free-jazz mais aussi l'ombre d'un Demy qui plane le temps d'une scène sublime où le couple se fait face dans une voiture coupée en deux avant d'enfourcher un scooteur : "Vide toujours (ou faut-il entendre vie de toujours ?), autour de nous, malgré nous, que l'on fuit chaque jour"... http://youtu.be/OQRZxxuPvZg

Trop de désordre dans cette critique ? Oui à l'image de ce film dont on sort "A bout de souffle" (3) mais surtout terriblement vivant, emporté par cet ouragan de liberté. Un cinéma où les maladresses se transforment en joyaux...

NB : M.... alors, voilà qu'en l'espace de deux jours, après avoir revu "Le Miroir" (4) et découvert ce "Départ", mes trop belles certitudes sur le cinéma sont battues en brèche. Jamais je n'aurais cru que deux films IMMENSES pourraient venir ainsi bousculer, en si peu de temps, mes rêves de cinéma. Voilà comment on se retrouve, après des dizaines d'années et des milliers de films vus, avec les classements (si rassurants car on les croit presque inamovibles) de ses films préférés remis en cause. Cela me confirme qu'un Top 10 est presque impossible à tenir, donc je vais vite ouvrir tout ça en créant un Top 20, 25 ou même 50... (5)

Un truc me fait flipper tout à coup. "Le Miroir" c'est Tarkovski, "Le Départ" c'est Skolimowski. Serait-ce donc la semaine des -ski, et donc peut-être de Nicolas Sarko-ski ?

http://youtu.be/zQXiDhT-s1Y

(1) http://www.senscritique.com/film/Deep_End/critique/7100998
(2) http://www.senscritique.com/album/Le_Depart_Bande_Originale/critique/26679997
(3) http://www.senscritique.com/film/A_bout_de_souffle/critique/6773663
(4) http://www.senscritique.com/film/Le_Miroir/critique/12443207
(5) http://www.senscritique.com/liste/Pour_dire_m_au_Top_10/81511

http://www.senscritique.com/film/Travail_au_noir/critique/12516936

Créée

le 20 avr. 2012

Modifiée

le 10 sept. 2012

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