[Mouchoir #41]
Triangle amoureux, cercle familial, huis clos rectangulaire. Le cinéma, quelques fois, prend au pied de la lettre des formes géométriques simples et les décline pendant le film, suivant ses péripéties, retournements de situations, changements que la forme épouse à chaque fois. Parfois, c'est aussi nous, lea spectateurice qui faisont une fixette. Car ces formes simples, concrètes, une fois repérées — même succinctement —, permettent d'exprimer ce qui se passe en nous d'abstrait ; encore plus quand il s'agit de l'état second que procurent cinq heures de muet.
Dans Mabuse premier du nom, c'est une scène qui met la puce à l'oreille, ou plutôt un montage alterné qui penche du côté du montage parallèle. À la fois une juxtaposition de plans de lieux différents, mais de temporalité commune, et aussi juxtaposition symbolique, un rapprochement mental au départ plastique. D'un côté une table de jeu façon tourniquet où des bourgeois parient leur argent, de l'autre une scène de spiritisme où les mains rassemblées autour d'une table forment un cercle. Et parmis les personnages, une femme portant une robe sur laquelle est cousue une spirale, son doigt suivant un moment le tracé, comme pour mieux souligner au public ce qui se joue.
Une fois libérée, une telle forme vampirise le film, et même le Mabuse suivant, celui de 1933. Ce qu'il y a de bien à voir les deux films à deux jours d'écart, c'est que ces impressions latentes qui nous font cogiter après les séances, quelque peu inexprimables, s'éclaircissent dans l'exercice de la comparaison. Si Lang dépeint ici la fragile République de Weimar et préfigure l'ascension du nazisme dans le second volet, c'est bien aussi deux formes différentes qu'il donne à la trajectoire de son Mabuse.
D'un côté donc le cercle, la spirale, l'encerclement par la police, l'étau de l'enquête qui se referme sur lui, l'ivresse du jeu et finalement la descente en folie. De l'autre en 1933, une ligne de fuite, un ensemble de montages alternés qui permettent au contraire un crescendo, une montée en puissance, la quête d'un but ultime, d'une passation, d'un héritage qui finit en course poursuite. Le cercle contre la ligne.
Avec Mabuse naît une forme de cinéma en mouvement, métamorphosable, qui peut prendre plusieurs visages, étant donné qu'il vient d'ailleurs, à la fois prestidigitateur à la Méliès et maître du crime serial à la Fantômas de Feuillade. Seulement ici pas de masque, mais un jeu de cartes à son effigie changeante, car en terre expressionniste, là où vivent les homunculus, doppelgängers, pantins et autres créatures faites d'ombres, on ne se cache pas, on se dédouble.
7,5.