Après une année 2014 flamboyante pour le cinéma d’animation japonais, grâce aux vieux baroudeurs Miyazaki et Takahata, 2015 faisait figure de sale gueule de bois : un « Souvenirs de Marnie » larmoyant et un « Miss Hokusai » sans épaisseur ni panache… La mise en veille des studio Ghibli et la mort prématurée de Satoshi Kon en 2010 ne laissant pas présager un avenir plus radieux, vers qui maintenant se tourner pour les futurs perles nippones animés ? Avec son nouveau film « Le Garçon et la bête », Mamoru Hosoda apporte un élément de réponse, comme un rayon de soleil dans l’accalmie.


Et cela, avec un postulat de départ tout ce qu’il y a de plus classique : un jeune orphelin de la mégalopole japonaise, fuyant la garde de ses nouveaux parents adoptifs, rencontre une Bête d’un autre monde, un ours mal léché expert en arts martiaux en quête d’un disciple. L’alchimie des deux individus est immédiatement explosive, virile mais aussi affective et paternelle. Hosoda articule donc sa narration comme un conte traditionnel, plantant un récit initiatique (d’ailleurs aussi bien pour le garçon que pour la Bête) dans un monde fantastique et animalier, grouillant de vie, un reflet sans ride de notre propre monde, où les représentants de l’ordre n’ont jamais besoin de sortir l’épée du fourreau. Cette vision d’une société utopique, empreinte de rocambolesque n’échappe pas certes à des personnages archétypaux, mais néanmoins bien construits et instantanément réjouissants. Le registre léger, humoristique et foutrement attachant fait des étincelles dans la première partie de ce film de 2 heures, dotée d’une énergie enivrante, d’un dynamisme d’animation et de mise en scène burlesque que je n’avais pas vu depuis « Ponyo sur la falaise ».


La seconde partie du film est portée par la même énergie, mais dans un contexte qui se veut progressivement plus dramatique et poignant, dévoilant des symboles lourds de sens, dans un imaginaire teinté de névrose. Alors que je commençais à me languir d’une présence féminine dans cet excès de testostérone, mon désir se trouve comblé, ramenant le récit à des enjeux plus humains et matures. Là est toute la force de ce film d’animation : endormir le spectateur dans un plaisir juvénile pour mieux le réveiller à coups d’électrochocs, ceux d’une réalité où la souffrance humaine déteint sur l’utopie pour en révéler ses travers. Après la rassurante adulescente, c’est à un alter-ego antagoniste que l’orphelin grandi va devoir faire face. Ils ont tous deux le même vide au cœur des entrailles, mais l’un fut élevé dans la fraternité tandis que l’autre mûrit dans le mensonge et l’incompréhension. Ce virage impromptu est donc l’occasion d’étayer une mythologie par la noirceur, apportant une profondeur psychologique remarquable.


Avec une mise en danger des personnages tardive, Hosoda conclut son film magistralement, démêlant les fils narratifs avec pertinence, restant dans la subtilité et abordant mine de rien des thèmes comme le deuil, la filiation avortée, le passage à l’âge adulte sans jamais rester superficiel. En repoussant les limites de son cinéma à chaque nouvelle production, Hosoda pourrait bientôt tutoyer ses aînés : il est d’ores et déjà l’un des fers de lance de l’animation japonaise actuelle.


Ma critique du film "Le Voyage de Chihiro" :
http://www.senscritique.com/film/Le_Voyage_de_Chihiro/critique/37481981


Ma critique de "Ponyo sur la falaise" :
http://www.senscritique.com/film/Ponyo_sur_la_falaise/critique/37779573


Ma critique du film "Le Vent se lève" :
http://www.senscritique.com/film/Le_vent_se_leve/critique/37483896

Marius Jouanny

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