Les Enfants, Loups Ame et Yuki ayant eu un succès notoire à sa sortie en salle en France (200000 entrées en France pour un film d'animation Japonais), le dernier film de Mamoru Hosoda a pu bénéficier d'un bagage promotionnel suffisant pour faire de son réalisateur, peut-être, le nouveau nom connu de l'animation japonaise en France.


Pour son dernier film, Mamoru Hosoda présente une œuvre finale et radicale, réinterprétation du thème récurent à tous ses films : la dualité.


Dans Les Enfants Loups, Ame et Yuki, la jeune mère était confrontée aux deux facettes de ses enfants hybrides, partagés entre leur identité humaine et leur instinct animal.
La Traversé du Temps opposait le passé au présent comme toile de fond du passage à l'âge adulte d'une jeune femme confrontée à ses responsabilités.
Et dans Summers Wars, une réunion de famille estivale se superposait au conflit virtuel opposant un surdoué du codage à un virus incontrôlable. Hosoda y inventait le monde de Oz, réseau social global où chacun y évolue sous l'apparence d'un avatar.
Comme dans ses trois œuvres précédentes, le récit se dénoue seulement quand les deux forces en oppositions s'accordent, entrent en résonance et s'harmonisent.


Pour Le Garçon et la Bête, Hosoda fusionne ses précédents univers pour donner naissance à Jutenga. Une réinterprétation du Japon féodal, teinté d'architecture et d'urbanisme européen, qui est parallèle au quartier sur-animé, artificiel et superficiel de Shibuya (connu pour son fameux carrefour).



  • Le nom de Jutenga rappelle d'ailleurs celui de Jötunheim, monde brutal issue de la mythologie nordique, où vivent les primaires géants des glaces.


Ren, orphelin humain, découvre ce monde en suivant Kumatetsu, ours sabreur colérique et looseur (sorte de relecture de Kikuchiyo, personnage de Toshiro Mifune dans Les 7 Samouraïs). Ren est adopté, un peu de force, par Kumatetsu, et devient alors Kyūta. Commence alors son apprentissage de sabreur, ainsi que la perte de son identité humaine pour devenir une bête. Ce conflit intérieur le suivra tout au long du récit, animé par sa relation conflictuelle avec son père adoptif. Mais sa réelle nature ténébreuse, abandonnée à Shibuya, ne refait surface qu'à son retour dans le monde des hommes. Combat intérieur justement souligné par la référence à Moby Dick et sa baleine (baleine déjà présente sous forme d'entité bienveillante dans Summer Wars).



  • À noter le passage entre les deux mondes, grand moment de poésie à base de couloirs et de pots de fleurs, n'ayant rien à envier à celui du Voyage de Chihiro.


Hosoda décrit en Jutenga une civilisation passéiste, primaire, régi par un système féodal. La technologie est absente. Le cours du temps y semble déformé (Le jour se lève, Kumatetsu affronte une première fois Iōzen, la nuit tombe). Il y beigne une atmosphère onirique et mélancolique.



  • Le duel entre Kumatetsu et Iōzen est animé par Takeshi Koike, réalisateur de Redline.


Chaque habitant de Jutenga est une bête, un animal personnifié, portant sur son visage ses attribues (cornes et crocs) tels un avatar. Une représentation de sa personnalité comparable à celle que ferait un internaute avec son image de profil. Le singe Tatara est facétieux et cynique, les porcs Hyakushūbō et Iōzen sont sages et réfléchis.


Dans Le Garçon et la Bête, Kyūta suit un chemin initiatique purement Campbellien, partant ainsi pour un voyage initiatique, pour finalement revenir dans le monde des hommes en adulte accompli, gardant en lui les enseignements de son aventure. Il sera pris sous l'aile de différents sages, sera confronté à sa Némésis (Ichirōhiko, un autre humain adopté, disciple rival), et verra son père adoptif mourir symboliquement pour venir ensuite compléter son vide intérieur.
La dualité de l'être et les conflits intérieurs de Kyūta font écho à la dualité entre les mondes de Shibuya et Jutenga, son combat avec son adversaire laisse des traces dans les deux univers. Ces deux mondes sont liés.


Hosoda crée un monde synthèse de son univers. Mélangeant le passé/présent de La Traversé du Temps, le réel/virtuel de Summers Wars (il manquait juste les traits de contour rouges dans le dessin) et le sauvage/civilisé de Les Enfants Loups, Ame et Yuki.
Y appliquant la science ancestrale du découpage propres au cinéma d'animation japonais, sans jamais tomber dans le contemplatif facile, Hosoda s'affirme comme l'un des pilier de l'industrie de l'animation face à des poids lourds comme Ghibli, Madhouse ou Toei.


Il fait aussi de nouveau appelle à sa figure totémique du lapin. Le King Kazma de Summer Wars a évolué en un personnage omniscient, veillant sur son monde tel l'auteur façonnant son récit.

Julien_Jeanne
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le 17 janv. 2016

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Tcherno  αlpha

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