A une heure où le Brésil est tombé dans l'escarcelle de l’extrême-droite, il est salutaire de redécouvrir ce charmant film d’animation d’une grande intelligence aussi bien sur le monde de l’enfance que sur la société brésilienne.
Le Garçon et le Monde repose sur un scénario à un canevas somme toute assez classique : un petit garçon voit son père quitter le foyer familial. Souffrant de son absence, il décide de partir à sa recherche, entreprenant un long voyage où il découvre la dure réalité du monde adulte. Néanmoins le film se démarquera peu à peu du schéma narratif typique pour s’engager dans une quête beaucoup plus intérieure.
Le film commence par un minuscule point mauve qui s’imbrique dans une série de motifs kaléidoscopiques évoquant des atomes et des molécules pour finalement former un caillou. On finit par comprendre qu’il s’agit d’une vue subjective du petit garçon protagoniste du film. Dès le premier plan tout est dit : Le Garçon et le Monde parlera du Monde vu au travers des yeux d’un enfant et ira de l’intime pour toucher à l’universel. Le titre du film lui-même s’inscrit dans ce sens, faisant apparaître en premier le point du « I » de « Menino » (« garçon ») et le O de « Mundo » (« Mondo »).
Partant d’un fond blanc, le décor se garnit peu à peu de détails au fur et à mesure que l’enfant explore son univers. On est dans un monde luxuriant de pureté et d’innocence où il est possible d’escalader les nuages. Mais déjà les prémisses de la chute à venir sont là : des nuages noirs crachés par une étrange machine, d’inquiétante villes-montagne au loin, alors qu’un souffle de vent qui pourrait être celui de l’oubli fait chuter l’enfant de son nuage tel un Adam chassé de l’Eden.
Film à hauteur d’enfant, Le Garçon et le Monde superpose à la réalité le regard du petit héro trop jeune pour comprendre la complexité de son monde mais pouvant en percevoir la dureté. Ainsi il n’y a pas de dialogues dans le film. Si les personnages parlent parfois, c’est dans un charabia incompréhensible, qui se révélera être du Portugais inversé. Le garçon est trop petit pour comprendre ce que les adultes se disent mais saisit néanmoins la gravité des propos.
Malgré le trait volontairement naïf proche du dessin d’enfant ou du collage de cours d’art-plastique, le monde décrit n’a rien d’enfantin. Dans Le Garçon et le Monde, Abreu retrace l’ensemble des plaies qu’à pu connaitre son pays au cours des décennies passées : l’exode rural, les inégalités la mécanisation du travail, les bidonvilles, la déforestation jusqu’à la dictature militaire. L’Ordre et le Progrès, devise du Brésil, sont ici les fléaux qui accable ce Monde.
Ces fléaux, cependant, sont toujours passés au prisme du regard de l’enfant, qui toujours cherche à réenchanter son univers pour se protéger contre sa cruauté. Ainsi les moissonneuses deviennent des machine-sauterelles, les bennes-preneuses des crocodiles dévoreurs d’arbres, les tanks des éléphants mécaniques, etc. Quant au coup d’état militaire supposé, il est représenté par le combat entre un aigle noir (symbole du fascisme par excellence) et un phœnix multicolore, le premier invoqué par la fanfare de l’armée, le deuxième par les chants des manifestants. Pour l’enfant du film tout est prétexte à émerveillement, aussi dur qu’il soit le monde qui l’entoure devient très vite son terrain de jeu. L’esthétique du film sert ce propos en épousant à plusieurs reprises le design du jeu de vidéo de plate-forme.
Néanmoins, il arrive un moment où la réalité se fait trop pressante et où l’imaginaire ne résiste pas au déferlement de catastrophes. Aussi vers la fin, le dessin d’enfant brûle pour laisser place à des images réelles de l’exploitation de la planète par l’homme.
Ce qui nous amène au twist final, où l’on apprend (attention spoiler !) que les 2 adultes qui accompagnent l’enfant dans le film (un jeune ouvrier et un vieux paysan) sont en réalité les alter-égo de ce dernier. Ce que l’on prenait pour une voyage linéaire était en réalité un voyage interne à l’échelle d’une vie. Vie représentée dans le film par cet arbre planté par le garçon et ses parents. Le garçon lui-même n’aura donc été pendant la majeure partie du film que l’incarnation de la part d’enfance que l’adulte emmenait avec lui et utilisait pour faire face à une société aliénante. Quand à ce qu’on nous présentait pour une quête du père, il s’agissait plus de la quête du souvenir, en l’occurrence une mélodie incarnée à l’écran par une bulle rouge que l’enfant cherche à attraper.
Ce n’est qu’au soir de sa vie que le garçon de retour dans les ruines de son foyer retrouve son souvenir, dernier refuge qu’il lui reste. Et le film de finir comme il a commencé, suggérant un retour à la mère, à l’origine. Une mort et peut-être une renaissance.
Sous ses allures de petit film pour enfant au ton proche de Chapi Chapo, Le Garçon et le Monde renferme donc une profonde maturité pouvant se lire sur plusieurs degrés de lecture. Seul vrai bémol à l’ensemble : la participation au film de grosses compagnies comme Petrobras (la société pétrolière publiques brésilienne récemment mise en cause pour plusieurs scandales) : toujours le dilemme de l’artiste dénonçant son monde tout en en faisant partie !
Au vu des dernières nouvelles inquiétantes venant du Brésil, on dira peut-être que Le Garçon et le Monde fut prophétique. A moins que ce soit l’Histoire du Brésil que nous livre Alê Abreu : une histoire et un combat éternellement recommencés. Gageons qu’encore une fois le phœnix renaîtra de ses cendres.
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