On dirait bien que Mme Sloane est de retour : carénée pour la victoire, impassible sous la mitraille, cérébralement hypertrophiée... Jessica Chastain semblerait presque se spécialiser dans la surdouée, mais elle tient la route et la dragée haute à tous ces messieurs si fiers de leur réussite et qui lui balancent leur supériorité sociale à la figure à chaque occasion, alors qu'ils ne lui arrivent pour la plupart pas à la cheville, donc elle aurait tort de se priver. Sauf que Molly Bloom a un père, ce qui n'était pas le cas de Mme Sloane, si je ne m'abuse. Et que ce père l'a pressée comme un citron jusqu'à ce qu'elle monte sur un podium olympique, catégorie ski acrobatique. Ou qu'elle se fracasse le dos. On connaît généralement les grandes lignes de la suite : les parties de poker avec des mises stratosphériques, les stars de ciné, les rois du monde, les mafieux (on peut appartenir aux trois dernières catégories en même temps, si on la joue fine), et, bien sûr, le FBI. On se demande d'ailleurs qui le réalisateur préfère : les frères à De Niro qui pètent les dents des demoiselles friquées ou les cousins à Mulder qui lui pompent tout son fric pour la faire chanter ? Dans cette frénésie d'appétits convergents, les moments passés dans le bureau de l'avocat virtuose et droit sont autant de bulles de répit, nimbées de lumières bleutées, parenthèses enchantées mais anxiogènes dans la frénésie décadente et quasiment pyrotechnique de la course au succès. La narration en voix off, tendue, speed, brillante, cède alors devant des échanges où les silences laissent enfin le temps à de vrais sentiments d'émerger. Discrètement. Notamment la honte, mais aussi le désir de revanche, la hargne, la détresse, et c'est là que le film établit vraiment sa réussite, par le biais de ces contrastes éclatants tout autant que feutrés. On glisse d'une situation à l'autre sans s'en apercevoir, et de l'aura d'un père tout-puissant, tyrannique et exigeant, à celle d'un avocat réticent puis ému, en dépit de l'armure en titane qu'il a devant lui. C'est là que je confesse que j'ai toujours aimé Kevin Costner. En dessous de ce niveau de classe et de retenue, c'est pas la peine de venir parader sur un écran. Je suis vraiment contente de le retrouver enfin dans un rôle non anecdotique. C'est assez rare ces vingt dernières années, et pourtant, il n'a rien perdu de son charisme. Mais la bonne nouvelle, c'est qu'il trouve ici un challenger à sa mesure : Idriss Elba. Une présence folle, dense comme Grégory Peck a su l'être avant lui, élégant, et sobre. Chouette, la relève est assurée. En bref, un trip qui aurait pu être excessivement roboratif et tape-à-l’œil mais a su se ménager des respirations bienvenues. Et en prime, un film de procès. C'est toujours bien, ça, les films de procès. Donc aucune raison de se priver de cette immersion dans les paillettes qui cachent mal la misère...