Le juge et l'assassin, c'est avant tout un combat; un combat à mort entre le juge Rousseau et Joseph Bouvier. Mais un combat surtout déséquilibré: cela fait des années que Rousseau traque Bouvier, qu'il l'attend et il sait déjà parfaitement comment le faire tomber. De plus, le juge a le soutien de toute la société, uni derrière ce "monstre sanguinaire". Cela se voit d'ailleurs dans l'arrestation de Bouvier : ce n'est pas la police qui l'attrape, mais de simples bergers. Face à cette coalition, Bouvier n'a aucune chance; le très lucide procureur Villedieu le fera d'ailleurs judicieusement remarquer. Mais avant la confrontation, Tavernier va d'abord nous montrer les deux protagonistes évoluer chacun de leur côté et une forme de dualité va très rapidement s'installer. Bouvier, vagabond qui viole et tue, va être filmé dans des plans très large, au milieu de grand paysage où il apparaît ainsi très petit et qui semble l' écraser; la faiblesse du personnage est mise en évidence. A l'inverse, Rousseau est filmé dans des plans très serré et le plus souvent en intérieur : on voit alors un homme maitre de son entourage et surtout de lui-même. Cette dualité de plans va permettre de confronter ces deux personnalités avant même qu'il ne se rencontrent. L'opposition des ces deux hommes est aussi traduites par d'autres détails; les cheveux de Bouvier sont en bataille, très désordonné et évoque ainsi le flux de passions qui s'agitent en lui, tandis que ceux de Rousseau sont sobrement et parfaitement coiffé et confirme l'idée d'un homme ferme et droit. Il en est de même au niveau de leur barbe: si Bouvier est toujours mal rasé ou même pas rasé du tout, Rousseau, lui, porte une moustache très propre.
Mais alors ce film pourrait s'arrêter là, à cette dualité, à quelque chose de manichéen et sans grand intérêt, mais justement, Tavernier évite cet écueil. Dans Le juge et l'assassin, rien ni personne n'est manichéen. Personne n'est gentil ni méchant; il y a simplement des êtres compliqués et torturés. Bouvier ne nous apparaît pas juste comme un horrible assassin. On réussit, ne serait-ce qu'un peu, à le comprendre et à éprouver de l'empathie pour lui. En effet, Tavernier nous montre l'homme d'avant, son passé et le rend plus attachant. Est-ce de sa faute les meurtres qu'il perpétue? Bien sur il a une grande part de responsabilité, mais la société n'est-elle pas responsable elle aussi? Cette société qui n'a cessé de le mettre à l'écart, de l'ostraciser, de le refuser; elle l'a rendu fou, l'a poussé dehors. Il n'aime pas tuer des gens, mais ne peut pas résister à ses pulsions sexuelles et meurtrières; en tuant ainsi, il fait presque autant de mal à lui-même qu'à ses victimes. De même, Rousseau n'est pas le juge honnête et dévoué qu'il semble de prime abord être, celui qui ferait le sacrifice de sa vie entière pour protéger la population des criminels. Sa démarche contre Bouvier est extrêmement intéressée : il recherche, sinon la gloire, la reconnaissance de son travail et de son mérite. Il use de techniques sournoises qui trompent Bouvier et par la même occasion le spectateur. Il suffit par exemple de s'intéresser à la scène d'extorsion des aveux : toute la scène est tournée en plan séquence et pose ainsi une atmosphère posée et calme : Bouvier est mis en confiance par l'attitude bienveillante du juge tandis que le spectateur est mis en confiance par la caméra. Lorsque Rousseau acquiert enfin la certitude de la culpabilité de Bouvier, il se découvre alors et devient agressif envers lui; la caméra zoome alors sur le juge qui retrouve, par ce nouveau cadrage plus serré, toute son expression menaçant. Ce désir de reconnaissance, il est explicité à la fin du film, après l'exécution de Bouvier : on voit Rousseau revendiquant son droit à la légion d'honneur et laissant apparaître son véritable intérêt dans l'affaire Bouvier. Un autre thème, qui n'est pas explicitement abordé mais présent tout au long du film en filigrane, participe grandement à la complexité de l'œuvre : l'Eglise. D'un côté, Bouvier s'en sert comme une sorte de refuge contre ses passions qu'il ne peut contrôler; il évoque d'ailleurs à plusieurs reprises son amour pour la Vierge Marie. La religion semble être ce qu'il l'aide à supporter sa souffrance. D'un autre côté, l'Eglise est montré comme beaucoup plus sombre, au court d'une scène seulement, mais qui marque la suite. Bouvier explique qu'il a été violé par un prêtre lorsqu'il était enfant : c'est cette expérience qui l'a traumatisé et qui est l'origine profonde de son trouble psychologique; l'Eglise est la source de la folie de Bouvier. Le seul personnage qui apparaît comme pur et bon, c'est Rose, l'amie de Rousseau, mais elle finira violé par ce dernier. Le juge s'est finalement abaissé au niveau de celui qu'il poursuit et a souillé le seul être qui portait en lui l'innocence et la pureté.
Alors qui est bon et qui est mauvais? Y a-t-il seulement des bons et des mauvais? C'est surement dans ces questions que réside toute la puissance du film.