Du cinéma d’exploitation vraiment intelligent !

L’objectif des producteurs était de faire un film érotique et il est connu que Lucio Fulci n’a accepté que faute de mieux : « Après Murderock, j’ai dû m’absenter des plateaux de cinéma à cause d’une maladie, après laquelle je suis revenu avec Le miel du diable. Ce film, je l’ai fait en désespoir de cause (…) C’est le premier film qu’on m’a proposé, et je m’estimais heureux d’avoir cette opportunité ». Mais il a complètement transformé la commande et, comme il le déclare lui-même : « Le miel du diable est une histoire d’amour désespérée. Comme chez Harold Pinter, les personnages hurlent leur désespoir à la face du monde et de l’autre. » Le film est sans doute très imparfait mais il est aussi extrêmement personnel, intéressant et, comme je le dis souvent, c’est un film qui a une « âme ». Tout Le miel du diable, et notamment les scènes érotiques, est traversé par la présence de la mort, lien classique entre Éros et Thanatos, et Fulci a même perverti la séquence finale prévue au scénario : « Un détail important : il était écrit dans le scénario qu’à la fin, lorsqu’ils lisent le poème concernant le miel du diable, la caméra panoterait pendant la scène pour finir sur l’océan… j’ai dit à ma fille de rajouter une arme à feu à la fin du plan. Elle allait signifier que même si ces deux personnages forment un couple, ce couple finirait bien par s’entre-tuer. Cette arme à feu changeait complètement le sens de l’histoire. » Le film comporte quelques séquences superbes comme l’incroyable scène où Gaetano colle le saxophone contre le sexe de sa compagne pour jouer un air reprenant la cadence d’un coït jusqu’à la jouissance, scène qui renvoie, comme le fait remarquer Lionel Grenier, aux mots du chef d’orchestre Ernest Ansermet qui écrit que « le chant du saxophone ténor traverse sans broncher les syncopes, comme le phallus les spasmes du coït, et avec la même sorte de corporéité. » (Les fondements de la musique dans la conscience humaine et autre écrits). Et sa richesse symbolique est tout de même bien rare pour un film catalogué comme « érotique » : par exemple, la scène de la foire sur les montagnes russes qui renvoie au caractère de Gaetano qui passe sans cesse de la méchanceté à l’amour, ou celle où Cecilia demande à son prisonnier de réparer sa poupée complètement disloquée, montrant ainsi qu’elle compte sur lui pour se reconstruire. Du cinéma d’exploitation vraiment intelligent ! Le film est édité en média book blu-ray – DVD chez Artus films dans une très belle copie accompagné d’un long texte d’une rare pertinence de Lionel Grenier qui, contrairement à ce qui est malheureusement très fréquent, ne se contente pas de nous faire un historique de la carrière des acteurs et du réalisateur, mais analyse vraiment le film.

Jean-Mariage
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le 10 mars 2021

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